Charles Gounod en prière à l'Église Saint-Augustin
La fameuse Toccata qui ouvre l'Orfeo de Monteverdi (l'un des premiers opéras de l'histoire de la musique), la fanfare du ballet La Péri de Paul Dukas (qui a justement été composée pour occuper le temps d'installation du public) et les Fanfares liturgiques d'Henri Tomasi font office d’introduction au concert. Scintillante et cuivrée, la musique redore les fresques de l'église que les auditeurs peuvent contempler à loisir puisque les instrumentistes sont d'abord cachés.
La couleur martiale de Dukas (1865-1935) se distingue de la teinte plus solennelle de L'annonciation, premier tableau des Fanfares liturgiques d'Henri Tomasi (1901-1971). Le compositeur marseillais reprend ici des éléments de son opéra Don Juan de Mañara mais en leur adjoignant une portée spirituelle. D'un geste précis et léger, Michel Piquemal embrasse les contours mystérieux et parfois dissonants des accords cuivrés. Avec finesse, les instrumentistes parviennent à doser le temps de résonance dans les silences. D'une toute autre allure est le dernier tableau Procession nocturne, véritable marche funèbre qui reprend peu ou prou le thème du Dies Irae, menée par les coups de timbales et de caisse claire. La tension est palpable dans les paroles tirées de la Passion du Christ, mais aussi dans le chant solide et puissant de la mezzo-soprano Bénédicte Roussenq. Cette dernière incarne parfaitement le texte, dévoilant graves profonds et aigus éthérés, lâchant comme dans un souffle « Tout est accompli ».
Ces deux pages introductives tournées, la biographie musicale de Charles Gounod peut commencer. En 1853, le compositeur improvise sur le premier prélude du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach, sur lequel il mettra les paroles de l’Ave Maria, quelques années plus tard. Interprétée à la harpe par Audrey Perrin, et par Bénédicte Roussenq, la méditation n’est un secret pour aucune oreille qui se délecte encore de la régularité des notes délicatement égrainées. Mais plus surprenante est la version pour violon solo, chœur et orchestre, qui selon les dires de Michel Piquemal a été composée avant l’Ave Maria et créée par l’Orchestre Pasdeloup en 1853. La violoniste Marie-Laure Goudenhooft est alors rejointe par les nappes sonores successives du Chœur Vittoria qui enrichit l’harmonie de la mélodie.
Dans un registre plus opératique, Gallia pour soprano, chœur et orchestre dévoile toute l’expérience lyrique du compositeur, qui, en 1871 a déjà écrit une douzaine d’opéras dont Faust ou Roméo et Juliette. Il est alors en Angleterre, fuyant l’invasion allemande, et écrit cette élégie, comparant la France humiliée et vaincue à la Jérusalem détruite par les Babyloniens dans le livre des Lamentations. Embrassant le caractère emphatique de l’œuvre, le chœur répond avec force aux gestes saccadés et rapides de Michel Piquemal.
Vingt ans plus tard, Gounod laisse l’opéra de côté pour se consacrer presque exclusivement à la musique sacrée. Mais il ne conserve pas moins des traits théâtraux dans son dernier oratorio Saint-François d’Assise, composé en 1891. Cette œuvre pour ténor, basse, chœur et orchestre a été longtemps oubliée, jusqu’en 1940, où la partition est retrouvée dans les archives de la Congrégation des Sœurs de la Charité de Saint-Louis. Recréée justement par Michel Piquemal et le Choeur Vittoria en 1996, la partition rarement jouée est encore une découverte pour de nombreux auditeurs. La première pièce, La cellule, est la traduction musicale du tableau de Bartolomé Esteban Murillo, peintre du XVIIe siècle, représentant le Christ crucifié qui entoure de ses bras Saint François. L’introduction aux cordes est grave, intérieure et plonge d’emblée l’auditeur dans un autre temps. La parole est ensuite donnée à Saint François d’Assise, incarné par le ténor Antonel Boldan. Son timbre léger et sûr est parfaitement en harmonie avec sa posture sereine et ses vibrati passionnés qui résonnent de plus belle à ces mots : « De ton amour embrase-moi ». Plus profonde et au timbre plus concentré est la réponse du Christ, interprété par Frédéric Cornille. Les mains ouvertes, le regard tendu et presque crispé, le baryton incarne un Christ souffrant mais plein d’amour.
Le diptyque s’achève avec La mort, pièce inspirée du tableau de Giotto : Les Frères célèbrent les funérailles de François, dont l’âme est portée au ciel par les anges. Ténors et basses du chœur prêtent leurs voix pleines et convaincues aux frères, tandis que soprani et alti font monter de l’arrière du chœur des harmonies angéliques.
Toujours spirituelle, l’inspiration de Gounod se confond cette fois-ci avec la prière : en 1893, six mois avant sa mort, il compose Repentir pour mezzo-soprano et orchestre. Bénédicte Roussenq donne chair à cette mélodie ample et transperce par ses aigus les mots « Pardonne ma faiblesse ». L’imploration virulente est palpable dans les gestes rapides de Michel Piquemal, tourné à la fois vers l’orchestre et la mezzo-soprano. Lui-même chanteur, il semble attentif à la moindre consonne prononcée.
À la demande implicite mais enthousiaste du public, l’orchestre rejoue en bis l’interlude de Saint-François d’Assise, laissant chacun quitter l’église sur cette belle méditation.