L'Instinct très lyrique de Bou & Devos à l'Éléphant Paname
L'Instant est assurément lyrique avec ces deux habitués des grandes scènes d'opéra (et qui partageaient l'affiche du Comte Ory Salle Favart en fin d'année dernière). Se pourchassant à travers les travées du public pour mieux se retrouver sur scène, la soprano et le baryton brûlent d'emblée les planches (et un peu les tympans) par leur engagement scénique et vocal, même pour un récital avec piano dans un lieu intimiste. Le volume et l'abattage conviennent aux extraits d'opéras, au point qu'on aimerait les voir sur scène incarner comme ce soir Alexina et Henri (personnages de l'opéra-comique Le Roi malgré lui d'Emmanuel Chabrier) dont la Barcarolle prend bel et bien ici son balancement typiquement vénitien (cette forme s'inspire des chants de gondoliers tout comme la Barcarolla de Gounod également dans le programme).
Le duo est tout aussi puissant en passant de l'opéra-comique à l'opérette ("Quoi ! Si doux..." du Monsieur Beaucaire de Messager, que Jodie Devos chantait déjà il y a deux ans à Radio France et "Nous avons fait un beau voyage" dans la légèreté toujours sonore de Ciboulette). L'incarnation touche au sublime avec Hamlet et Ophélie (grand opéra d'Ambroise Thomas qui refermera l'année en beauté, avec Stéphane Degout et Sabine Devieilhe à l'Opéra Comique).
Les mélodies de salons alternant avec les airs d'opéra en conservent le lyrisme, notamment les Pleurs d'or de Fauré qui noient la salle de volume mais aussi de couleurs. Le cycle des Fêtes galantes composé par Debussy sur des poèmes de Paul Verlaine revient au fil de la soirée, offrant par trois fois aux artistes un instant soliste chacun. L'occasion est trop belle, dans ce répertoire et ce lieu intimes, de montrer également des instants de douceur, les fins aigus colorés et trillés de Madame, les aigus mixtes aussi ronds que délicats de Monsieur. Même avec une partition, même mélodistes, ils conservent leur implication lyrique soutenue par une prononciation délicate, presque antiquisante, des intervalles déliés embrassés dans un souffle continu. Jean-Sébastien Bou place sa voix dans le masque à la frontière du nasal, le timbre cotonneux est parfois presque étouffé, et de fait, il n'est jamais plus lyrique que dans la douceur, accoudé au piano, menton baissé, regard levé portant dans le lointain.
Sachant marteler les dissonances et propulser les aigus, Antoine Palloc, fidèle accompagnateur des Instants lyriques, offre comme à son habitude un support impliqué et très appliqué, malgré les difficiles arrangements aux nombreuses voix tuilées.
Les artistes, à la générosité naturelle encore renforcée par l'esprit des lieux, offrent en bis deux duos extraits de Véronique (André Messager) : le duo de l’âne et le duo de l'escarpolette. Ainsi se referme un Instant lyrique dédié à Montserrat Caballé. La saison musicale de l'Éléphant Paname sera un bel hommage à l'art vocal avec la participation de Jean-François Borras, Stéphanie d'Oustrac, Benjamin Bernheim, Marina Rebeka, Natalie Dessay, Anne-Catherine Gillet et Joyce El-Khoury (réservations, champagne inclus).