Ludovic Tézier triomphe en Rigoletto au Théâtre du Capitole
La soirée avait déjà bien commencée. Daniel Oren s’était installé avant tout applaudissement à son pupitre et avait lancé une Marseillaise, chantée par un public debout. Ce moment émouvant, dédié aux victimes des attentats barbares du 13 novembre dernier, répond à une initiative de Placido Domingo au Metropolitan de New York quelques heures seulement après le drame, et déjà reprise par de nombreux théâtres en France et à l’international.
Ludovic Tézier (Rigoletto) et Sergey Artamonov (Sparafucile) devant les décors de Carlo Tommasi - © Patrice Nin
Après la brève ouverture de l’opéra conduite sur un rythme enlevé par un Daniel Oren spécialiste de ce répertoire, le rideau s’ouvre sur un magnifique décor signé Carlo Tommasi plongeant le public dans la Rome de la Renaissance. Des décors riches, utilisant des tentures peintes complétant les structures construites. La mise en scène est d’un grand classicisme, reprenant quasiment à la lettre les indications du livret de l’opéra. Rien d’étonnant à cela : cette mise en scène créée par Nicolas Joël en 1992 (il y a 23 ans !), pour l’ouverture de son mandat à la tête du Théâtre du Capitole, correspond en quelques sorte à sa signature et témoigne de son attachement au livret et à la musique qu’il perpétuera au fil de ses productions jusqu’aux plus récentes.
Le rôle-titre est assuré par Ludovic Tézier. Tout comme son personnage, le chanteur semble ne pas apprécier avoir à jouer le bouffon et peine à trouver ses marques dans la première scène. Il se montre en revanche émouvant voire déchirant, dès lors que son personnage adopte une posture plus dramatique, c’est-à-dire lorsqu’il quitte son rôle de bouffon pour devenir père, tour à tour protecteur, trahi, puis désespéré. L’une des grandes innovations de Verdi avec cet opéra est le développement psychologique de ses personnages, et en particulier celui, très complexe et contradictoire, de Rigoletto. Tézier s’accapare cette complexité et restitue à merveille l’être d’amour que cache la carapace de l’ignominieux amuseur de cour.
Ludovic Tézier (Rigoletto) - © Patrice Nin
Sa fille Gilda est campée par la belle Nino Machaidze dont la technique et la puissance vocale servent magnifiquement son air du premier acte, ou encore son duo avec Tézier au second. En revanche, leur duo du premier acte, l’un des plus beaux airs du répertoire, aurait requis de sa part un plus grand sens de la nuance. Elle forme un duo de charme avec la troisième tête d’affiche de la soirée, Saimir Pirgu, ses graves profonds se mariant parfaitement au timbre enjôleur du Duc.
Ce dernier affiche un air mutin et un sourire qui caractérisent immédiatement ce personnage libertin assoiffé de plaisirs et de conquêtes féminines, mû par un tel égoïsme que les malédictions qui l’accablent lui glissent sur la peau. Son timbre tout à fait belcantiste n’empêche pas une puissance éclatante lors de ses airs, dont il eût cependant pu user davantage au cours du quatuor du dernier acte, sommet dramatique et musical de l’œuvre, dans lequel il apparaît en retrait.
Nino Machaidze (Gilda) et Ludovic Tézier (Rigoletto) - © Patrice Nin
Maria Kataeva offre une Maddalena faussement modeste, aguicheuse, envoûtante et capricieuse, comme il se doit. Le Sparafucile de Sergey Artamonov reste un brin figé, yeux rivés sur le chef, durant le dernier trio, dont la complexité musicale et rythmique originale a été amplifiée par le tempo élevé auquel il fut interprété. Ses autres interventions sont en revanche impeccables, toutes en nuances, aidées par une belle projection, en particulier des notes les plus graves.
Parmi les nombreux autres rôles, nous relèverons la performance du Monterone de Dong-Hwan Lee dont la profondeur des basses glace le sang, ainsi que la Comtesse Ceprano de Marie Karall au grain chaud et envoûtant, que nous retrouverons en Fenena (Nabucco) à Saint-Etienne en fin de saison.
Sous la baguette dynamique et efficace de Daniel Oren, véritable génie verdien, l’Orchestre national du Capitole offre une belle performance, avec une mention spéciale pour le violoncelliste solo ayant parfaitement accompagné l’air de Rigoletto de l’acte 2, tandis que le chœur du Capitole délivre impeccablement la finesse des nuances requises pour cette œuvre.