Porpora et Haendel : un affrontement courtois sur la scène du Capitole
La voix d’exception du contre-ténor prolifique Max Emanuel Cenčić sur un répertoire en partie Haendélien qu’il maîtrise parfaitement, un orchestre reconnu pour la qualité de ses productions, un texte remis à l’entrée du théâtre exposant le contexte et le choix du programme : tout augure du succès de la soirée. Et pourtant la salle du Capitole est loin d’être remplie, les applaudissements sont inégaux, le public s’agite parfois sur son siège et ne semble pas totalement convaincu, du moins pendant la première partie du concert consacrée aux œuvres de Nicola Antonio Porpora. Après l’entracte toutefois, Cenčić parvient à reconquérir l’attention et l’intérêt d’une salle presque soulagée qui l’acclame, lorsqu’il interprète les airs des opéras Orlando et Arminio de Haendel.
Le premier élément déroutant de ce début de concert est la présence du narrateur Florian Carove, assis au balcon côté jardin, qui intervient quatre fois sous forme de longs interludes, rappelant les rebondissements de la vie lyrique londonienne au XVIIIe et, en dépit d’une diction correcte, il ne peut lutter contre le concept même de sa présence dans le récital. Il est hors scène tout en étant à la vue de tous et rien d’autre ne se déroule lors de ces interludes. Le public ne peut subséquemment que lever les yeux vers un narrateur (ou plutôt un lecteur) assis, le regard fixé sur son pupitre, déclamant sans réelle valeur ajoutée un texte souvent mot pour mot : celui que les spectateurs ont déjà pu lire dans le programme fourni.
L’orchestre Armonia Atenea débute également son programme en demi-teinte avec le Concerto pour 2 violons en la mineur d’Antonio Vivaldi caractérisé par un manque de connexion et d’écoute. Le chef, George Petrou, lutte avec une gestique large et rigide comme s’il attendait par moment de son ensemble un son plus intense, plus présent qui ne vient malheureusement pas même si les violons solistes (Sergiu Nastasa et Otilia Alitei), malgré quelques soucis de synchronisation vites oubliés, font preuve d’un lyrisme et d’un raffinement certains.
Enfin, Max Emanuel Cenčić fait le choix de commencer cette première partie par deux airs très sobres ne nécessitant pas de prouesse vocale particulière avec un ambitus se situant plutôt dans les bas médiums et les graves de sa voix mais dont l’interprétation laisse néanmoins le public sur sa faim. S’il est vrai que l’air d’Ezio “Lieto sarò di questa vita” (Ezio de Porpora) fait entendre ces graves profonds propres à Cenčić, étonnamment audibles même lorsqu’ils ne sont pas poitrinés, il est malheureusement également marqué par deux regrettés accidents d’intonation pendant l’exécution des vocalises. Cenčić enchaîne immédiatement par “Nume che reggi il mare” (Arianna in Nasso - Porpora) avec une voix se réveillant toujours, particulièrement sombre et alourdie au vibrato très serré, qui peine nécessairement à atteindre les quelques aigus de la partition tandis que l’orchestre se fait à l'inverse de plus en plus réactif et précis.
Après une pause instrumentale avec la Sonate en trio “La follia” de Vivaldi largement applaudie et marquée par une meilleure cohérence de l’ensemble et quelques passages exquis entre le premier violon, les violoncelles en pizzicato et le théorbe ou la fin forte et staccato impressionnante d’énergie, Cenčić revient conclure la première moitié du concert avec une voix qui se fait plus claire, plus équilibrée et aux aigus plus faciles - sans être encore complètement stables. Sur l’air de Filandro “D’esser gia parmi” de Porpora, les vocalises sont plus vertigineuses et l’auditoire retrouve l’aisance tant appréciée de Cenčić soutenu parfaitement par l’orchestre.
Après l’entracte, le public profite de son interprétation d’un répertoire qu’il maîtrise bien et qui convient également mieux à sa tessiture puisque faisant moins appel à ses graves. Son timbre est de plus en plus clair et Cenčić fait preuve d’une retenue subtile appréciable sur “Gia l’ebro mio ciglio” (Orlando - Haendel) mais également sur les airs nécessitant plus de virtuosité. Aussi parvient-il à garder la même humilité, la même déférence envers la musique pendant les vocalises rapides, plus périlleuses et plus longues de "Cielo, se tu il consenti" du même opéra tout en faisant montre d’une maîtrise de souffle époustouflante. C’est peut-être l’air d’Arminio “Al par della mia sorte” (Haendel) qui permet de profiter au mieux de l’art vocal dont est capable Cenčić. Il allie une articulation efficace, un grandiose et une intensité dans les hauts médiums et les aigus éclatants - peu fréquents pendant ce récital - avec un legato qui ne saurait être meilleur tout en gratifiant le public de l'un de ses trop rares regards.
Max Emanuel Cenčić avec des intentions louables et une sincérité certaine, propose un concert inégal dont les moments de vaillance ne sauraient totalement faire oublier au public un choix de mise en scène qui ralentit ce qui aurait dû être le miroir des combats et des passions défrayant la scène lyrique du XVIIIe.