Étonnantes et spectaculaires Messes par Hervé Niquet et le Concert Spirituel au Festival Berlioz
Hervé Niquet présente le concert :
En la cour du Château Louis XI de la Côte-Saint-André, le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française basé à Venise) offre au maestro Hervé Niquet l'occasion de faire découvrir une œuvre oubliée du compositeur Jean-Paul-Égide Martini (1741-1816). Ancien intendant de la Musique du Roi sous Louis XVI, la Révolution lui fit perdre son poste. En 1814, la Restauration est pour lui l’occasion de retrouver sa situation, accompagnant sa candidature d’une Messe des morts dédiée aux mânes des compositeurs les plus célèbres. Aucun nom n’étant précisé, la dédicace est habile. Sa candidature retenue, l’œuvre est créée en la Basilique de Saint-Denis le 21 janvier 1815, à l’occasion de la translation des dépouilles de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Le premier anniversaire de la mort du roi fait entendre de nouveau cette Messe de Requiem agrémentée de trois motets avec solistes. Ceux-ci ne sont pas présentés ici, mais l’intégralité de cette dernière adaptation de la messe fera l’objet d’un enregistrement prochain.
Le premier accord tombe comme un couperet, violent et terrifiant, particulièrement par l’utilisation du résonnant (et bruyant) tam-tam. L’utilisation de cet instrument à percussion peut paraître incongrue mais est source d’impressionnants effets lors du premier mouvement. Le chœur est disposé devant l’orchestre, les hommes à Jardin et les femmes à Cour. Il est alors presque possible d'entendre chaque choriste mais l’homogénéité de l’ensemble est patente, remarquable même. Les intentions expressives de la partition et ses vivantes respirations font entendre de forts beaux moments. Le spectaculaire Dies Irae notamment tressaille de silences terribles, tandis que l’Agnus Dei est doux et les Miserere épanchent d’intenses lamentations. Il est évident que la direction tout aussi théâtrale d’Hervé Niquet est l'un des vecteurs principaux de ces nombreux et saisissants reliefs. Le public ne peut qu’être fasciné par ses gestes amples et son indéniable présence. Hervé Niquet réussit donc à guider, à travers les tumultes violents ou les élans lyriques, non seulement ses musiciens mais également l’auditeur. La parodie qui suit la « Chanson de Brander » dans La Damnation de Faust de Berlioz aurait très bien pu s’inspirer du mouvement final fugué sur Amen mais reste spectaculaire.
En 1824, Hector Berlioz (1803-1869) n’a encore que 20 ans et n’a passé qu'un an à peine auprès de son professeur Jean-François Lesueur lorsqu’il compose sa Messe solennelle. Cette œuvre de jeunesse souffre certes d’une certaine hétérogénéité mais manifeste toutefois les talents du compositeur qui ne cesseront de se perfectionner. Après la création en l’église Saint-Roch à Paris le 25 juillet 1925 et une autre exécution deux ans plus tard en l’église Saint-Eustache, Berlioz détruit la quasi-totalité de la partition. Néanmoins, cela ne l’empêcha pas de reprendre certains de ses thèmes pour les replacer dans sa Symphonie fantastique (1830), son Requiem (1837), son opéra Benvenuto Cellini (1838) et son Te Deum (1849). Miraculeusement, l’organiste belge Frans Moors découvre en 1992, parmi les archives de l’église Saint-Charles-Borromée à Anvers, la partition autographe de l’œuvre offerte au violoniste Antoine Bessems. Comme le partage Hervé Niquet lui-même : « chez Berlioz, on a l’impression d’avoir des graves très présents, des aigus qui vous transpercent et rien au milieu. » Il apparaît qu’il faut donc remplir ce vide par une interprétation intelligente et exigeante qui déconcerta les musiciens qui créèrent la Messe en 1825, dont la première répétition fut apparemment désastreuse. Heureusement, la rigueur des membres du Concert Spirituel et l’assurance de leur chef leur permet de défendre dignement les 14 mouvements de cette étonnante œuvre.
Le Kyrie crée de suite une ambiance toute particulière, notamment par les imprévisibles accents de certains pupitres des cordes, tandis que le chœur se fait entendre long et serein. Si celui-ci est toujours bien mis en évidence par sa position, ce qui semble porter préjudice à l’orchestre, pour lequel l’écriture n’est déjà pas d’un grand soutien, sachant que le jeune et enthousiaste Berlioz a composé sa messe avec l’idée d’un orchestre au moins deux fois plus important que celui de ce soir. Après un Gloria qui annoncerait presque les œuvres opératiques de Puccini, les mélodies du Gratias sont d’une naïveté touchante. Le soudain Quoniam en surprend certainement plus d’un, notamment dans le chœur, dont le départ douteux est difficilement rattrapable à cause de la rapidité et de la difficulté de la prononciation, qui semble alors brouillonne. Le Credo est l’occasion d’entendre le jeune baryton-basse russe Mikhail Timoshenko. Ses graves, ici fort sollicités, sont beaux mais manquent de corps. La lutte avec le son des instrumentistes est alors inégale et ne permet pas d’apprécier pleinement la sensibilité de son interprétation. Lors de l’Incarnatus, la soprano Diana Axentii fait entendre des phrasés expressifs et joliment colorés, portés par un vibrato large et aidés de son chaleureux timbre. Le Crucifixus et plus encore le Resurrexit ont de beaux moments d’effroi, avec le grondement des timbales et du tam-tam pour la fin tonitruante. Dans l’Offertoire, Mikhail Timoshenko sollicite davantage ses registres médium et aigu, et semble ainsi plus à l’aise. Malgré les exigences de la partition, le chœur ne manifeste aucune fatigue et poursuit aisément avec le Sanctus et le O salutaris. L’Agnus Dei est le moment d’apprécier l’interprétation limpide du ténor Sébastien Droy, sensible et sûr de sa technique vocale, avant que le concert ne se termine avec le puissant Domine salvum, où percussions et cuivres semblent fanfaronner dans un terrible final.