La tendre et touchante Enfance du Christ de Berlioz fascine la Côte-Saint-André
Le 12 décembre 1850, Hector Berlioz (1803-1869) présente au public parisien un Adieu des bergers à la Sainte Famille, fragment pour chœur d’un mystère, La Fuite en Égypte, composé en 1679 par l’inconnu Pierre Ducré, maître de musique à la Sainte-Chapelle de Paris. La naïveté touchante des mélodies, les douces couleurs du chœur et la simplicité des dialogues entre les cordes et la petite harmonie ne manquent pas d’émouvoir le public parisien. La « gendarme de la critique française » se passionne pour cette découverte de ce compositeur représentatif de la vieille école. Ayant enfin la reconnaissance parisienne qu’il attendait, Berlioz dévoile qu’il est en réalité le compositeur de la pièce. Il profite alors de l’effet de cette petite farce pour composer une trilogie sacrée pour solistes, chœur, orchestre et orgue, dont la partie centrale est cette Fuite en Égypte. Sans être un fervent pratiquant, Berlioz a toujours gardé de charmants souvenirs des naïves messes de son enfance et des heureuses processions qui perturbaient avec enchantement ses calmes après-midi de printemps à la Côte-Saint-André. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans ses œuvres religieuses une émotion profonde et une majesté dramatique qui ne peuvent laisser indifférent. L’œuvre est créée le 10 décembre 1854 en la salle Hertz avec un succès « spontané, très grand et même calomnieux pour mes compositions antérieures », selon les Mémoires du compositeur.
Jean-François Heisser rêvait de diriger cette Enfance du Christ avec son Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine. S’entourant également du Chœur de l’Orchestre de Paris, l’occasion lui est donnée ce soir, en la Cour du Château Louis XI, dans le village même qui marqua tant la vie et l’œuvre de Berlioz. L’œuvre débute avec le récitant, confié au ténor Éric Huchet (à retrouver ici en interview). Connu pour ses talents de comédien, il montre ici ses talents de conteur, avec une prononciation et une projection parfaites qui lui permettent de communiquer aisément son texte au public. Celui-ci peut apprécier la finesse de sa voix particulièrement lors de son air final. Le Roi Hérode est incarné par la noble voix du baryton-basse Laurent Alvaro, qui interprète également le rassurant et généreux Père de famille ismaélite. Le timbre noir captive de suite son auditoire, projeté avec une maîtrise constante et dont le chant est conduit par des intentions charmantes. L’auditeur est également conquis par la tendresse de la mezzo-soprano Marie Lenormand. Sa douce et claire voix incarne parfaitement Marie, une mère attendrie, épuisée et reconnaissante. Sans exagération, elle communique son expressivité par son chant et son visage. Le Joseph du baryton Franck Lopez est réellement convaincant lors de son air d’imploration « Ouvrez, ouvrez, secourez-nous » (troisième partie – scène 1). Toutefois, lors de ses autres interventions, sa voix manque de puissance pour se faire bien comprendre et ses intentions ne sont pas davantage compréhensibles, son expression faciale semblant artificielle et même en conflit avec le texte. Deux membres du chœur offrent des interventions solistes à la prononciation très soignée : la noble basse Christophe Gutton et le ténor, un peu raide mais élégant, Frédéric Pineau.
Sous la direction précise et rebondie, parfois quasi métronomique, de leur chef d’orchestre, les musiciens font entendre de délicates sonorités. Si le début de la Marche nocturne manque un peu de direction et semble un peu lourd à cause du manque de stabilité des basses dans leur régularité rythmique, la suite fait entendre des couleurs mystérieuses qui éveillent la curiosité de l’auditeur. Tandis qu’après qu’Hérode ait ordonné de donner la mort à tous les nouveau-nés (première partie – scène 4) les éclats des cuivres produisent un effroi cauchemardesque, la respiration naturellement expressive de tout l’ensemble lors de L’Adieu des bergers à la Sainte Famille (deuxième partie) mettent en évidence les harmonies gentilles et touchantes de cette petite fresque aux fausses inspirations médiévales. Le « trio pour deux flûtes et harpe, exécuté par les jeunes Ismaélites » (troisième partie – scène 2) est un beau moment de poésie, élégamment agile. Il est dommage que la première flûte soit accordée légèrement trop basse (ce qui ne pose pas problème avec la deuxième flûte, l’une et l’autre pouvant se corriger entre elles), mais davantage avec la harpe.
Le Chœur de l’Orchestre de Paris, bien que constitué de chanteurs amateurs, est superbement préparé par Lionel Sow. Les timbres n’ont certes pas toujours la rondeur de professionnels, ce qui s’entend davantage au pupitre des ténors, mais l’ensemble est précis et particulièrement remarquable dans les parties a cappella, dont seuls de rares et discrets sifflements du chef rassurent l’intonation. Après un joli et rassurant Chœur d’Ismaélites, les chanteurs font entendre des couleurs piani, tout à fait célestes. Quatre « Amen » disparaissent dans le silence de la nuit, juste à temps pour que seule réponde au loin la cloche de l’église Saint-André, assurément reconnaissante de ce bijou musical dont elle fut, sans doute, l’inspiratrice secrète.