La Terre tremble à Sablé
Il Terremoto (Le Tremblement de Terre) d'Antonio Draghi (1634-1700) est un sepulcro, genre représenté durant la Semaine Sainte, plus particulièrement le Mardi et le Vendredi. Il met en scène la Passion du Christ, au moment où Jésus rend l’âme. « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent… » Les sepulcri, en nombre important à cette époque étaient interprétés par des chanteurs sobrement costumés mais identifiables par les spectateurs (la Vierge, le Christ) se déplaçant autour d’un décor constitué de deux éléments : un tombeau et une croix. S'y trouvaient mêlées l’expression de l’opéra italien et la puissance du texte sacré. Vincent Dumestre a réécrit certaines voix comme celles du chœur et rétabli l’instrumentation. Son choix s’est porté sur une dizaine d’instruments afin de se rapprocher d’une formation de musique de chambre, plus appropriée pour exprimer le caractère mystique recherché.
La version proposée ce soir est une version de concert (à la différence de sa précédente représentation à la bougie dans la Chapelle du Château de Versailles). En un peu plus d’une heure, cette œuvre intense se construit au fil de huit scènes à l’intérieur desquelles se trouvent des récitatifs, airs et chœurs d’une grande expressivité. Elle insiste sur la douleur de la Vierge et la conversion des incrédules.
Afin de restituer l'atmosphère religieuse de l’œuvre, celle-ci est précédée de la lecture du texte français de la Passion selon Saint Mathieu. Grâce à une gestuelle très expressive, la comédienne Alexandra Rübner fait vivre cette Passion dans une impressionnante prononciation restituée du XVIIe siècle projetant l'émotion qui se dégage des mots. Ce choix suscite d'emblée la sensation dramatique du récit musical qui suit. Le livret écrit par Nicolò Minato est un texte simple mais les mots employés sont forts pour marquer les esprits, propices à l’expression des affetti et à la piété. Il permet ainsi une interprétation claire du texte biblique compréhensible de tous les croyants, notamment l’opposition entre l’affliction de la vierge, de Marie-Madeleine et de l’apôtre Jean avec les sarcasmes et provocations des incrédules puis après le tremblement, l’effroi qui les saisit et enfin leur repentir.
Léa Trommenschlager incarne la Vierge Marie, figure centrale de ce drame. Aimante, fragile, sur le point de défaillir, elle fait penser à une madone d’un tableau de Raphaël. Elle allège l’émission vocale au profit des nuances, apportant beaucoup de délicatesse au personnage qui s’apprécierait encore mieux dans une configuration plus intime. Le compositeur refuse en effet de traduire la violence de son deuil pourtant explicite dans le texte (« peine atroce - âpres tourments - cruelles douleurs »). Elle se révélera pleinement en revanche dans la bouleversante invocation (Lassa ! Fino gl'Elementi) aux aigus bien ronds, appuyée par l'orchestre et l’intervention du chœur. À noter également la délicatesse de sa diction, la précision de son phrasé ainsi qu’une bonne expressivité gestuelle et vocale.
La Marie-Madeleine de Claire Lefilliâtre affiche un timbre naturellement coloré de nuances subtiles qui pose son caractère dramatique fait de noblesse et d’autorité. La voix se projette avec assurance, son expressivité est renforcée par celle des gestes et du visage. Son interrogation angoissante lors du souvenir du tremblement de terre (Se la terra trema) avec des attaques bien marquées, la voix légèrement plus vibrante, constitue assurément l’un des moments forts de l’œuvre. La soprano Anna Zawisza prête son timbre mate à la Lumière de la Foi, avec de jolis aigus dans l'air avec viole Trema e piangi. Avec la mezzo-soprano Helena Poczykowska qui incarne la Lumière de la Science, elles forment de beaux duos où toutes deux font preuve d’une belle diction et d’un phrasé soigné dans leurs longs récits déclamés, placées l’une et l’autre dans les deux bas côtés de l’Église, le visage éclairé d’une simple bougie.
Chez les hommes, le ténor Zachary Wilder campe l’autre rôle central, celui de Saint Jean, portrait vivement contrasté du disciple aimé du Christ. Stupeur, attendrissement ou colère sont restitués avec aisance expressive et une très grande attention au texte. Son effrayante conclusion, à la voix tremblante de menace et de douleur (E se per grand' orror), juste avant le chœur final est mémorable. Le contre-ténor Riccardo Angelo Strano (Scribe) n’a peut-être pas encore la maturité nécessaire pour camper un personnage défiant le Christ sur la croix et peine à retenir l’attention par un timbre de voix peu modulé utilisant toujours la voix de tête et s’élançant parfois au-delà du contrôle, mais il se rattrape émotionnellement dans son dernier air (Non sia Pupilla), un autre moment fort de cette représentation. La basse Emmanuel Vistorky campe un Pharisien aux graves présents, à la voix chaleureuse, peut-être trop sympathique pour le personnage incarné. Enfin Victor Sicard prête au Centurion sa voix de baryton claire et sonore, bien projetée, aux accents énergiques et aux aigus chaleureux.
À la tête du Poème Harmonique, Vincent Dumestre emmène avec ferveur cet opéra sacré. Les instruments choisis permettent un équilibre de sonorités séduisantes aux couleurs presque vénitiennes, entre brillance, puissance du cornet et suavité, douceur des violes et de la harpe. La basse continue est particulièrement soignée et expressive. Plutôt en demi-teintes et non en grands effets sonores comme on pouvait l’attendre pour décrire ce séisme, Vincent Dumestre choisit de décrire les moindres frémissements de l’âme pour une interprétation plus mystique que dramatique.