Escale Méditerranéenne à Sablé-sur-Sarthe avec L’Arpeggiata
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Les mélodies sensuelles parcourent l’Italie méridionale de l’Est (l’Apulie), la Grèce, l’Espagne (Majorque et en Catalogne) et le Portugal, les formes et structures baroques s’épiçant de timbres et de souplesse rythmique jazz : la formation réunit des spécialistes issus de ces différentes traditions, avec théorbes, chitarra battente, cornet à bouquin, contrebasse, clavecin, percussions, deux chanteurs et une danseuse. À la tête de cet ensemble à géométrie variable, Christina Pluhar montre qu’un tel brassage n’aboutit pas à un amalgame confus mais au contraire à un dialogue identifiable de divers univers musicaux. Le concert se déroule en une suite de récits mélodieux entrecoupés de tarentelles instrumentales et d’improvisations où chaque interprète fait preuve d’une grande dextérité. La disposition en demi-cercle est propice aux échanges complices entre musiciens qui jouent, improvisent, se surprennent entre eux mais aussi en interaction avec le public.
Le ton est donné dès le premier chant, Are mou Rindineddha, une escale dans le sud de l’Italie, plus particulièrement dans la région du Salento. Ce chant traditionnel en grec déploie une sonorité particulière : proche de la musique traditionnelle de l’Italie du Sud, elle contient aussi des influences turques et arabes, dans une ambiance mystérieuse et mélancolique. La voix atypique de Vincenzo Capezzuto au timbre presqu’androgyne est surprenant : qualifié d’alto et non de contre-ténor puisqu’il n’utilise pas la voix de fausset, l’interprète montre une expressivité immédiate se mélangeant harmonieusement à celle de la soprano Céline Scheen. L’un comme l’autre ont un phrasé déclamé, des inflexions vocales très précises, un timbre ni trop lyrique ni trop traditionnel, les couleurs sont variées en fonction des passages en duo ou en solo et selon la narration de la chanson. Leurs sourires, leurs gestes expressifs, leurs regards trahissent leur complicité. Dommage cependant que la chanteuse garde la partition à la main, la rendant moins libre de ses gestes en regard de son partenaire.
Christina Pluhar fait alors son entrée au théorbe, rejointe par celui de Josep Maria Marti Duran sur la basse obstinée d’une ciacconna (pièce instrumentale écrite par Maurizio). C’est l’occasion de faire monter les improvisations inventives, dextres et agiles avec le jeu envoûtant du cornettiste Doron Shervin en dialogue avec les mélismes du clavecin joué par Francesco Turrisi, le tout ponctué par l'intervention subtile du percussionniste Sergey Saprychev. Le claveciniste se saisit alors du tambourin et tel un joueur de tamburello, entraîne musiciens et chanteur dans une pizzica endiablée. Le tableau est complet lorsque les rejoint sur scène la danseuse Anna Dego pour une performance énergique, bondissante, tournoyante accompagnée de gestes des mains comme une incantation à la terre. Vincenzo Capezzuto se révèle être également à l’aise dans sa gestique corporelle et ses intentions expressives : à la fin de la danse chantée, la danseuse bondit dans les bras du chanteur comme pour renforcer son souhait urgent que son amoureux ne l’oublie pas.
Après quelques applaudissements, la basse obstinée reprend, agrémentée des castagnettes, pour une nouvelle tarentelle Napoletana où l’improvisation a la part belle. Le fil conducteur du spectacle est donc la Tarentelle, cette musique effrénée visant à guérir ceux que l’on croyait être victimes de morsure d’une araignée (la tarentule). Christina Pluhar se plonge avec délectation dans ces chants folkloriques souvent accompagnés de danses essentiellement féminines dont le caractère sensuel évoque les danses païennes.
Mais le populaire sachant décidément se marier au savant et prouver la diversité du programme (à l’image de la Méditerranée), le public peut également admirer la soprano Céline Scheen qui s’avance pour lancer un incantatoire et inattendu Lamento della Ninfa de Monteverdi. Tout comme la pièce interprétée un peu plus tardivement, Che si puo fare de Barbara Strozzi (1619-1677), ces pièces pourraient avoir été rajoutées pour mettre en valeur cette interprète (qui y délaisse la partition) et cette voix au timbre pur, cristallin, à peine vibré. Ses aigus sont projetés, les graves manquent au début d’un peu de profondeur mais gagnent en assurance au cours du spectacle, notamment dans les duos (avec cependant l’emploi nécessaire de la sonorisation pour le chanteur). Le voyage éblouissant et vertigineux se poursuit, multipliant les escales en voguant notamment vers Majorque et les Canaries sur le nostalgique, riche et rond registre medium de Céline Scheen, dans la charmeuse Catalogne, au son des castagnettes.
Après de nombreux applaudissements d'une salle enthousiaste, l’ensemble revient pour trois bis. Le premier est une pizzica où chanteurs et musiciens se défoulent, le deuxième est une reprise participative de Halleluja de Léonard Cohen. Enfin, une ultime pizzica ou la danseuse entraîne à sa suite une jeune fille du public.
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage » pourrait être la conclusion de ce magnifique concert-spectacle.