Parsifal d'Uwe-Eric Laufenberg s'offre une troisième reprise à Bayreuth
Parsifal est de tous les opéras de Wagner, celui qui, avec Les Maîtres Chanteurs, fait le plus l'objet d'une chasse gardée de la veuve Cosima. C'est elle qui donne l'ordre de conserver les décors sur lesquels Wagner pose les yeux, avec ordre donné d'excommunier les chanteurs qui s'aventurent à chanter les rôles dans une autre salle que Bayreuth. Cet oukase a perduré jusqu'à la réouverture de Bayreuth en 1951. Pourtant, lorsque le rideau se lève en 2016 sur le travail d'Uwe Eric Laufenberg, on croit être revenu en 1882 avec l'intérieur de cette église en croix grecque et ces voûtes immaculées. L'illusion est de courte durée puisqu'on comprend très vite que le lieu abrite des réfugiés du très moderne conflit irakien et syrien. Les impacts de bombardements et la présence de soldats en arme ne laissent planer aucun doute sur le sujet.
Les moines-chevaliers organisent une cérémonie haute en couleurs avec rien de moins que le corps martyrisé d'Amfortas en couronne d'épines et périzonium, qui sert de fontaine de sang à la petite communauté. Plus explicite mais bien moins émouvante que la version berlinoise de Tcherniakov, la scène a de quoi surprendre, d'autant plus qu'elle est précédée par la vidéo d'un aller-retour dans l'espace sur grand écran pendant la musique de transformation. Mais il en faut davantage au Reine Tor pour renoncer à sa quête sacrée et subtiliser la lance à un Klingsor machiavélique qui collectionne les âmes et les crucifix. Le ballet des filles-fleurs passant de la burqa aux petites tenues multicolores peine à l'émoustiller, contrairement à la Kundry autoritaire qui, elle, le ramène sur terre avec l'autorité d'une mère sur son fils soumis.
Tout irait pour le mieux si l'acte III ne ramenait pas dans cette église aux dimensions désormais réduites et qui accueille des jeunes gens dénudés pour un enchantement du Vendredi saint sur fond de mousson et de jungle tropicale. Tous les protagonistes du conflit moyen-oriental se réunissent à la toute fin et, à l'invitation de Parsifal joignant le geste à la parole, déposent dans le cercueil de Titurel les symboles religieux, à l'origine des haines entre les peuples.
Dans le rôle-titre, Andreas Schager passe du statut de remplaçant de luxe à celui de titulaire. La voix n'est pas toujours idéalement placée, la faute à un désir irrépressible de magnifier l'émission quitte à durcir les notes et passer en force. Libre alors de ne retenir de ce chanteur que la capacité à user (et abuser) d'une projection uniformément athlétique. Point trop de nuances chez Elena Pankratova qui vise une Kundry-Elektra, volontiers torche vivante et autoritaire dans les moments de tension. L'endurance est remarquable et peut faire oublier des nuances bien minces. Le Gurnemanz de Günther Groissböck réitère la performance qu'il avait livrée dans la récente production de Parsifal à l'Opéra Bastille. La voix est ample et d'un grain très dense, d'un bout à l'autre du registre, contrairement à l'Amfortas fatigué de Thomas Johannes Mayer. Le timbre éteint doit se contenter d'une projection limitée pour tenter de faire exister un personnage invariablement dolent et souffreteux. Le Klingsor de Derek Welton se contente d'assurer son rôle sans briller. Wiebke Lehmkuhl est toujours aussi impressionnante dans sa courte intervention en Voix céleste, ainsi que le Titurel caverneux de Tobias Kehrer. Le groupe des filles-fleurs est très équilibré et souvent plus en place que les chœurs qui se décalent souvent, surtout dans le final.
Pour sa première année de présence sur la Colline, Semyon Bychkov assure une direction somme toute classique mais efficace dans le sens où la gestion des tempi plutôt lents garde un sens sur toute la longueur de l'ouvrage. Le cadre est précis et ne cède en rien à des atermoiements qui feraient ressortir excessivement le côté sulpicien de la mise en scène.