À Bayreuth, Le Vaisseau de Gloger navigue en eaux troubles
On le pensait disparu mais Le Vaisseau fantôme (Wagner) de Jan Philipp Gloger refait surface sur la scène de Bayreuth. Le spectacle est sobre et d'une ampleur somme toute scolaire, puisant essentiellement son intérêt dans l'impressionnant décor de Christof Hetzer. Celui-ci a imaginé l'océan sous la forme d'immenses parois pivotantes le long desquelles circulent des flux électriques alimentant des compteurs dont on devine qu'ils ont un rapport avec d'obscures cotations commerciales ou boursières. Des vagues épileptiques affolent cet étrange organisme électronique, métaphore du mal-être du Hollandais condamné à errer sur les flots en attendant l'amour salvateur.
Débarquant dans la nuit avec une valise à roulettes et un café dans un gobelet, son récit initial est historié à la manière d'un court-métrage montrant diverses étapes de son parcours : refus de la corruption, refus de l'amour tarifé, refus de l'exploitation financière. Tout ceci est un peu naïf et contraste avec Daland et son Pilote en costumes de cadres dynamiques. La pauvre Senta est à contre-courant de l'entreprise familiale, s'obstinant à sculpter une représentation du Hollandais entre idole primitive et dessin de Baselitz, tandis que les ouvrières s'affairent à la fabrication de ventilateurs. L'économie de marché a le vent en poupe et entend bien faire de l'exploitation des travailleurs le moteur de son développement. Les ouvrières sont en uniforme tergal, tandis que les commerciaux (tous des hommes, bien sûr) sont en costumes trois pièces et passent leur temps à faire du shopping.
Le pâle Erik est mis au ban de la société-entreprise, errant dans l'atelier de fabrication en blouse grise pour effectuer de menus travaux d'entretien. Rien d'étonnant au fait que Senta l'ignore mais pas suffisamment au goût du Hollandais qui provoque une crise de jalousie. Le couple maudit finit au sommet d'un empilement de cartons, Senta arborant un flambeau et une paire d’ailes, couronnant le Hollandais de la palme de l’éternité. Comme un ultime pied de nez, le Pilote a l'idée d'immortaliser le couple en le prenant en photo sur son portable. Le rideau se ferme brièvement et s'ouvre à nouveau, montrant les ouvrières occupées à fabriquer en série les figurines du couple d'amoureux – nouvel artefact et succès commercial à venir.
Après l'impressionnant Samuel Youn et l'efficace Thomas Johannes Mayer les années précédentes, c'est au tour du pâle Greer Grimsley d'endosser l'habit du Hollandais. L'émission est en retrait, conjuguée à une technique et un timbre assez frustres. L'engagement ne suffit pas à effacer ces réserves, d'autant plus que la Senta de Ricarda Merbeth brûle littéralement les planches à ses côtés. On a peine à croire qu'une telle furie puisse racheter l'âme damnée du navigateur solitaire mais force est de remarquer qu'elle impressionne dans sa façon de vitupérer un chant transformé en imprécations. Il faudra hélas, passer sur le métal d'un timbre uniformément contondant et agressif. Peter Rose vient apporter un peu de douceur et de rondeur, livrant un Daland vocalement mature et pensif. La scénographie le pousse à des attitudes outrancières qui vont à l'encontre du chant – ce dont s'accommode plus volontiers le Pilote de Rainer Trost, visiblement plus à son aise dans les habits du jeune loup prêt à tout pour remporter un marché. La voix est bien projetée, avec une facilité remarquable dans les aigus. Christa Mayer profite du peu d'espace que lui laisse son rôle de Marie pour faire entendre un chant très sain et assuré tandis que Tomislav Mužek signe un Erik désormais sans scories, y compris dans les aspérités de la cavatine au moment des changements de registre.
L'orchestre trouve avec Axel Kober une dimension élégante mais sans préciosité. Jouant ouvertement la carte de l'énergie sans nervosité, son Vaisseau file droit et sans encombre majeure. Ce cadre roboratif offre aux chœurs l'occasion de briller.