Tosca à Sanxay : après le déluge, l’opéra
Aucunement découragé, jeudi soir, par une averse ponctuelle qui a transformé la scène des Soirées Lyriques de Sanxay en piscine et retardé la levée du rideau, le fidèle public, attendant gaillardement sous les arbres, trouve bientôt sa patience richement récompensée par un ciel étoilé et une prestation resplendissante de l’opéra Tosca. Des solistes de premier ordre, des chœurs splendides, un grand orchestre sous la baguette d’Eric Hull, dans une belle mise en scène signée Stefano Vizioli charment tous les sens.
La conception de Vizioli revêt l’œuvre de Puccini des couleurs vives et contrastées, des formes simples et claires de l’esthétique contemporaine. Un décor ingénieux, signé Mutina Eventi, forme un cadre noir abritant de multiples portes secrètes. Les ouvertures permettent d’illustrer les lieux du drame par soustraction, en découpant diverses formes dans le noir contre un fond lumineux, (création des lumières de Nevio Cavina). Une grande croix se découpe pour suggérer l’église Sant'Andrea della Valle. La croix s’illumine d’abord de vert, devient violette pour l’entrée de Scarpia, puis vire au rouge durant le Te Deum, s’intensifiant en rouge-sang, rouge-flammes, à mesure que Scarpia révèle ses vraies couleurs. Au deuxième acte, toutes les portes restent fermées pour évoquer les appartements de Scarpia au palais Farnese, fermées comme une prison, sauf pour une ouverture sur la chambre de torture, dont s’échappe une lueur infernale. Au dernier acte, un grand rectangle bleu découpe les remparts du château Saint Angelo au-dessus de la ville.
L’aspect vif et clair de la mise-en-scène est soutenu par la scénographie et les costumes de Mauro Tinti. Pour le Te Deum, les membres des chœurs sont couverts de la tête jusqu’aux pieds de drapés rouges, comme des membres d’un culte satanique, du même rouge que la croix. Les solistes brillent en taffetas, Tosca en bleu-clair, puis rouge, puis noir, Scarpia en une cape violette qui rougeoie dans la lumière. Pour le reste, la conception est plutôt traditionnelle, avec quelques belles variantes. Scarpia dîne, par exemple, en compagnie de demi-mondaines s’offrant au plaisir, mettant tout de suite l’accent sur sa perversité morale. Tosca, après avoir tué Scarpia, n’entoure pas le corps de bougies, mais cherche désespérément la sortie en tâtonnant tous les murs dans le noir. Et le portait de l’Attavanti que Mario Cavaradossi prépare au levée du rideau, est l’étude d’un unique œil bleu, trouvaille géniale pour donner tout son sens à la réplique de Tosca : « Mais, donne-lui des yeux noirs ! ».
Dans le rôle de Floria Tosca, Anna Pirozzi impressionne avec sa voix de soprano tonitruante qui remplit jusqu’aux derniers recoins de l’espace antique. Avec sa voix égale du haut en bas de la gamme et couronnée d’un contre-ut solide et féroce, Anna Pirozzi assure avec aisance jusque dans les difficultés les plus démoniaques de ce rôle. Sa diction est claire, ses gestes et intentions aussi. Si, parfois, plus de nuances et de couleurs seraient les bienvenues, ou que le ton manque un peu de beauté, il est vrai que le rôle de Tosca n’est pas la province de la délicatesse. Son « Vissi d’arte » semble un peu l’objet d’un tire-à-la-corde de tempi avec le chef d’orchestre, ce qui ne la trouble pas, elle ne déçoit pas au moment culminant du si bémol très attendu, et réussit un sublime decrescendo dans les notes suivantes.
Dans le rôle du peintre, Mario Cavaradossi, le jeune ténor Azer Zada, natif d’Azerbaïdjan, est une révélation. Il chante avec passion et poésie, drame et subtilité, parfois héroïque, parfois tendre avec un beau legato. Il est surtout très émouvant, particulièrement dans son air du troisième acte «E lucevan le stelle», où il lâche tout, osant tout, y compris les pianissimi les plus tendres. Il lui faudra encore un peu plus de mordant pour dominer l’orchestre, qui, en revanche, aurait pu lui laisser un peu plus de place.
L’interprétation de Scarpia par le baryton Carlos Almaguer est magistrale, finement nuancée, laissant l’émotion des paroles infléchir la couleur de sa voix, mêlant la suavité hypocrite aux rugissements sauvages. Terrifiant et délicieux, Almaguer nous régale aussi de torrents de son dans les forte. Sa scène « Tre sbirri, una carrozza » sur fond de Te Deum choral, est un des moments les plus excitants de tout l’opéra.
Dans les rôles secondaires, la basse Emanuele Cordaro fait un parfait Angelotti avec sa riche basse lustrée et une diction ultra-claire. Le baryton-basse Armen Karapetyan est un Sacristain subtilement comique à la voix un peu raide, mais qui convient au personnage. Alfred Bironien dans le rôle de Spoletta est plus comique que sinistre. De son clair ténor, il livre avec une étonnante précision les paroles mitraillées sur ses interventions au deuxième acte. Les basses, Vincent Pavesi, dans le rôle de Sciarrone, et Jesus de Burgos, le Geôlier, font également excellente impression dans leurs courtes interventions. Mais c’est le soliste qui chante le jeune berger, se pavanant torse nu sur les remparts du château, qui vole la vedette. Gaspard Lys, a une voix de treble (soprano garçon) particulièrement claire, forte et bien produite pour un garçon, et mérite d’être vivement encouragé.
Les chœurs de Stefano Visconti dans le Te Deum et la Cantate sont fabuleux par leur force, leur cohésion, leurs nuances et par la pure beauté de leur son collectif. En ce qui concerne l’orchestre, celui-ci connait quelques moments difficiles : un départ rude avec des problèmes d’intonation, un désaccord entre la gauche et la droite de la fosse (rapidement réglé), des problèmes de coordination et quelques insécurités qui sans doute se sont améliorés pour la seconde représentation. La géographie du lieu offre ses avantages : pour évoquer, comme le voulait Puccini, la ville de Rome se réveillant aux matines de cent églises, de vraies cloches sont distribuées, invisibles, autour du site et sa colline : elles sont devant, derrière, à droite et à gauche du public, chacune surprend en se révélant son timbre unique à son tour. L’effet en est étonnant, la plus belle réalisation imaginable de ce moment magique.