Une jeunesse épatante livre un réjouissant Rigoletto à Verbier
Composant l'un des trois opéras de la grande trilogie de Giuseppe Verdi, Rigoletto, créé à Venise en 1851 (sur un livret de Francesco Maria Piave), est un authentique condensé de ce qui constitue l'essence d'un drame lyrique : de l'amour (celui de Gilda envers le Duc de Mantoue), des trahisons (celle du Duc qui dupe toutes les femmes qu'il rencontre), une soif de vengeance (celle du père de Gilda, Rigoletto, qui veut sauver l'honneur de sa fille), et enfin la mort (celle de Gilda). Une action riche et complexe donc, qui appelle bien des qualités lyriques et dramatiques tant du côté des voix que de l'orchestre.
Un Rigoletto convaincant
Des qualités, le baryton Leonardo Lee démontre, en Rigoletto, qu'il en possède déjà beaucoup. Doté d'un instrument vibrant projeté sans difficulté, le jeune chanteur sud-coréen expose un timbre radieux, qui sait être fort agréable dans les graves. Les nuances sont habilement maîtrisées en fonction de l'action en cours, qu'il s'agisse de chanter haut et fort (« Si, vendetta »), d'implorer avec véhémence (« Cortigiani, vil razza dannata »), ou encore de faire montre de sensibilité (duo avec Gilda, « Tutte le feste al tempio »). Par ailleurs, Leonardo Lee fait preuve d'un réel investissement dans le jeu de scène.
En Duc de Mantoue, le Colombien Andrés Agudelo livre une prestation convaincante. La voix est projetée avec toute la prestance nécessaire sur le fil d'un timbre charnu et chaleureux, bien que le medium manque parfois de brillance et de profondeur. Les aigus, en revanche, ne manquent pas d'éclat, même si le souffle est parfois court en fins de phrases, et certaines fins d'airs écourtées (« Questa o quella », « Parmi veder le lagrime »). Scéniquement, le jeune ténor dispose de toute l'énergie et des expressions de visage idoines pour jouer le séducteur invétéré comme le champion de l'infidélité.
Infidélité dont est victime, entre autres, une Gilda campée par une Alexandra Nowakowski qui livre une prestation de très bonne tenue. La jeune chanteuse américaine présente une voix au timbre exquis et capable de savoureuses vocalises (« Gualtier Maldé »). La frustration n'en est que plus grande de devoir, parfois, tendre légèrement l'oreille pour pleinement profiter de ce soprano prometteur, qui trouve toute sa place dans les charmants duos, avec le Rigoletto de Leonardo Lee notamment, mais aussi dans le ravissant quatuor de l'acte III.
La révélation Sava Vemic
La palme de la révélation revient à la voix de basse de Sava Vemic. Son Sparafucile est parfait de justesse et d'autorité, riche de graves profonds et d'une grande maîtrise des nuances. Le chanteur serbe affiche une ligne de chant épatante de maîtrise, doublée d'un charisme qui en impose. Le timbre est plein de relief et de chaleur. La jeune basse semble ne pas éprouver de difficultés à monter à l'octave. Une performance pleine, donc, pour un public qui ne s'y trompe pas, réservant à ce chanteur déjà fort mature l'ovation la plus nourrie.
Dans des rôles secondaires, le Comte de Monterone de l'Allemand Christian Andreas Adolph, au baryton robuste, et la Maddalena de la mezzo russe Svetlana Kapicheva, à la voix ardente, demandent à être revus dans des rôles plus complets.
L'on n'a guère l'impression que le Vervier Festival Junior Orchestra est composé de jeunes musiciens (certains sont encore adolescents). Sous la baguette de l'énergique chef russe Stanislav Kochanovsky, la phalange livre une prestation éblouissante d'intensité et de sensibilité, depuis le prélude parfaitement andante jusqu'à l'incarnation volcanique de l'orage au troisième acte. Maîtrise des nuances, fortissimos exprimées con fuoco (avec flamme), en parfaite osmose avec les chanteurs : tout concourt à la pleine réussite de l'exécution de l'oeuvre. Déjà matures, et formés à l'école de l'excellence, voici des musiciens promis à un bel avenir.