L’Opéra de Paris distille un Elixir pétillant
Stupéfiant ! Nous connaissions l’œuvre, les chanteurs et même la mise en scène par cœur. Et pourtant, une alchimie s’est opérée lors de la première de cet Elixir d’Amour de Donizetti, qui parvint tout de même à nous surprendre… Cet opéra est un dramma giocoso, c'est-à-dire un drame joyeux : son intrigue comique est ponctuée de passages plus mélancoliques. Et la distribution s'en accommode parfaitement.
Roberto Alagna, bien qu'habitué de la scène parisienne, y tient pour la première fois un rôle comique. Il joue ici Nemorino, l’idiot du village, et y prend manifestement un plaisir gigantesque, enchaînant les cascades, les pitreries et les postures pathétiques, si bien que le public jubile. Tel un enfant turbulent, il s’amuse seul ou avec ses partenaires, mais aussi avec les figurants, le décor ou les accessoires, apportant la preuve que le répertoire comique est noble lorsqu’il est interprété avec talent. Au point que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger : pourquoi Alagna n’élargit-il pas son répertoire à d’autres rôles de ce registre dans lequel il excelle ? Bien sûr, l’Elixir d’Amour contient également quelques pages plus sérieuses : son « Una furtiva lagrima », air le plus connu de l'opéra, est un trésor, avec d’exquis aigus et une admirable tenue de notes.
Roberto Alagna (Nemorino) et Aleksandra Kurzak (Adina) dans l'Elixir d'Amour à l'Opéra de Paris (© Vincent Pontet)
Il partage cette énergie avec sa compagne à la ville, Aleksandra Kurzak, rayonnante en Adina, impayable coquette ingénue, manifestement à l’aise pour minauder, mais sachant aussi se faire touchante souvent et moqueuse parfois lorsqu’elle singe le pauvre Nemorino. Elle réussit là le plus difficile : faire oublier les difficultés du rôle.
La complicité du couple star, que l'on attendait, apporte une rare fraîcheur à l’ensemble et se communique au reste de la distribution : là se situe la bonne surprise. Ambrogio Maestri, trop rare à Paris, impressionne. Le rôle de Dulcamara, dont il est l’un des grands spécialistes actuels, semble avoir été écrit pour lui. Le colosse, également très à l’aise dans le registre comique, déroule sa partition d'une voix puissante. Mario Cassi, légèrement en retrait, campe un impeccable Belcore, séducteur mais maladroit. Enfin, Melissa Petit offre des médiums profonds et chauds, inattendus mais appréciables, dans le rôle de Giannetta. De son côté, le chef Donato Renzetti s’efforce de tenir des tempi mettant les qualités vocales de ses interprètes en valeur, peinant pourtant parfois à freiner leur enthousiasme.
Ambrogio Maestri (Dulcamara) dans l'Elixir d'Amour à l'Opéra de Paris (© Vincent Pontet)
La mise en scène de cet opus, signée Laurent Pelly et bénéficiant des talents de Chantal Thomas et Joël Adam (décors et lumières), a déjà été vue à Paris à quatre reprises depuis 2006 et a tourné sur de nombreuses grandes scènes internationales (c’est d’ailleurs cette production qui a vu naître le couple Alagna-Kurzak). Pourtant, loin de s’être figée, celle-ci s’est nourrie de ses nombreuses reprises et de la liberté laissée à l’expression artistique personnelle de ses interprètes, faisant souffler sur les plaines agricoles qu’elle présente un vent de fraîcheur, de nouvelles trouvailles comiques venant enrichir les anciennes. Nous retrouvons avec plaisir l’humour du metteur en scène que l’on a apprécié dans Platée, La Grande Duchesse ou la Vie Parisienne. La présence de figurants, acolytes de Dulcamara et cyclistes lancés dans des courses endiablées, ou le passage d’un chien à la recherche de son maître, créent du jeu en arrière-plan et apportent un supplément de vie à une œuvre qui n’en manque déjà pas. Nous avons même fini par oublier que nous connaissions déjà par cœur cette mise en scène. Et nous serions prêts à y retourner !