Une ouverture anniversaire à Verbier
La Suisse est un pays généreux en manifestations musicales et Verbier illustre magistralement cette habileté à conjuguer l'excellence et la profusion. Fondé par Martin Engström il y a vingt-cinq ans, le festival a choisi de faire de la station valaisane du val de Bagnes un creuset de musiciens reconnus et de jeunes talents prometteurs qui profitent de l'expérience de leurs aînés, pour former une grande famille dans laquelle ces derniers, professeurs et académiciens réunis dans un collège d'Alumni, transmettent le flambeau aux étudiants de la Verbier Festival Academy.
Cet accent sur la formation et l'émulation se retrouve dans la composition même du Verbier Festival Orchestra, véritable tremplin pour les jeunes musiciens d'orchestre. Agés de 18 à 28 ans, ses quatre-vingt-dix-sept pupitres ont été sélectionnés, au fil d'auditions, parmi 1300 candidats venus des quatre coins du monde, et ont reçu une préparation intensive avec des coachs de la fosse du Met avant les concerts du festival. L'ouverture de l'édition 2018 permet de mesurer la qualité du travail accompli, sous la houlette de Valery Gergiev à la battue aux vertus pédagogiques sans doute implicites. Le geste du chef frappe d'abord par sa concentration intérieure communicative. Le plateau n'en résonne pas moins avec une cohésion évidente, tout en laissant aux soli la latitude de s'exprimer, dans une belle convergence entre les individualités en germe et le collectif.
Écrit en 2008 pour le
maestro russe, le Dyptique Symphonique de Rodion Shchedrin ouvre cette soirée inaugurale avec un hommage à un compositeur
fidèle à Verbier – et présent dans la salle. Point de recherches
avant-gardiste dans cette page à la pâte généreuse qui déploie
une intensité sonore progressive et des élans à la Stravinski :
l'efficacité expressive de l'ouvrage est mise en valeur par une
phalange qui manifeste ici sans doute plus de robustesse que de
personnalité. Premier soliste du trio de pièces concertantes de
cette première partie de soirée, Daniel Lozakovitch distille une
élégance aérienne dans l'Introduction et Rondo capriccioso en
la mineur opus 28 de Saint-Saëns. Valery Gergiev laisse au
violon du jeune prodige une tribune à l'éther d'un phrasé en
consonance avec une partition à la fluidité que l'on pourra dire
française. Le Concerto pour piano n°1 en sol mineur opus 25 de
Mendelssohn fait entendre une semblable mesure de la part du non
moins juvénile Georges Li. La lecture ne s'embarrasse pas d'inutiles
lourdeurs romantiques, et rehausse la séduisante sève mélodique.
Les amateurs de voix –
humaine – auront attendu Pretty Yende interpréter le fameux air de
Cunégonde, « Glitter to be gay », du
Candide de Bernstein, dont on célèbre au demeurant le
centenaire cette année – le choix n'est sans doute pas innocent.
La soprano sud-africaine concocte un irrésistible numéro de
cabotinage, qui compense des circonstances techniques peut-être pas
toujours favorables. Il reste
que si ses couplets la font plonger dans de délicieuses modulations
vocales et théâtrales, soulignant la coquetterie du personnage par
un jeu ça et là aux confins du parler, avec un timbre chaudement
moiré, la virtuosité des aigus et des ornementations sonne parfois
contrainte, aux limites de l'asphyxie.
La volubilité de
l'orchestre et l'éclairage des pupitres se bonifie significativement
après l'entracte. N'hésitant pas à bousculer discrètement ses
musiciens, Valery Gergiev imprime à la Shéhérazade opus 35
de Rimski-Korsakov une vitalité haletante, imitant à merveille
l'agitation de la mer. Les images du poème symphonique abreuvent le
spectateur, porté par les couleurs instrumentales, que le chef
encourage avec un instinct sûr. La passion palpable qui innerve
l'interprétation n'oublie jamais la richesse et la finesse
foisonnantes de l'oeuvre, restituées avec le génie d'un conteur
consommé. Assurément le climax de cette ouverture de festival, dont
s'est délecté un public d'invités.