Kassya, redécouverte romantique à Montpellier
Laissée inachevée par Léo Delibes, la partition de Kassya est reprise par Jules Massenet qui en achève l’orchestration. Le livret suit les amours du paysan Cyrille et de la Bohémienne Kassya, contrariées par les promesses de richesses du Comte de Zévale qui séduisent la jeune femme. Ce thème, déjà traité par Massenet dans Manon, qui sacrifie elle aussi son amour pour le confort matériel, est ici traité avec moins de finesse : les personnages archétypaux évoluent peu au fil de l’œuvre. Même les hésitations de Kassya sont trop peu développées (tant dramatiquement que musicalement) pour générer de l’émotion.
La partition offre cependant une orchestration riche et quelques beaux airs (mais pas de « grands » airs pour autant). Surtout, plusieurs ensembles (le quatuor de l’acte I, le trio du retour de Cyrille à l’acte III) brillent par leur puissance dramatique. Autres atouts de l’œuvre : le ballet (bien emmené par le son râpeux et effilé du premier violon solo) qui mériterait d’être chorégraphié, et les nombreux chœurs qui souffrent cependant ici du manque d’homogénéité du Chœur de l'Opéra de Montpellier et du Chœur de la Radio Lettone, trop peu ensemble pour mettre ces passages en valeur. Michael Schonwandt dirige l’Orchestre national Montpellier Occitanie d’une gestique claire et précise, révélant les couleurs variées d’une partition complexe et trouvant des dynamiques par un cadencement réfléchi.
Dans le rôle titre, Véronique Gens apporte toute l’expressivité de sa voix aux récitatifs chantés (alors que Delibes les avait prévus parlés) et aux airs dévolus à son personnage. Son port majestueux et son timbre dur et pur dans l’aigu lui confèrent, dès les premiers instants, des allures de Comtesse. Cela limite son évolution, déjà peu évidente dans la partition, qui, contre-intuitivement, ne met en valeur ses ardents graves que dans la seconde partie. Pourtant, les vocalises brillantes et le rythme dansant de son air de l’acte II correspondraient parfaitement à la caractérisation d’une bohémienne si elle les accompagnait d’une attitude plus cavalière. La finesse théâtrale de son chant et la fragilité de sa voix dans la scène finale en font un véritable moment d’émotion.
Cyrille Dubois incarne… Cyrille, bien sûr. Son timbre solaire, à la fois pur et brillant, s’épanouit dans ce répertoire où son phrasé éloquent et sa claire diction font merveille, rendant son soliloque du premier acte (et son « Je te hais » viscéral) captivant. Il accompagne son chant de larges gestes, se débattant de tout son corps contre les ennemis et les hésitations de son personnage. Déjà formidable, tout comme Véronique Gens, dans l’enregistrement de La Reine de Chypre sorti récemment par le Palazzetto Bru Zane, il ne lui manque qu’un plus large volume pour s’approprier pleinement ce répertoire romantique français.
Dans le rôle du Comte de Zévale, Alexandre Duhamel délivre d’emblée une belle voix tonnante et autoritaire. La noirceur dont il parvient à colorer son chant en fait un méchant idéal (comme il l’a déjà montré en Golaud cette saison à Bordeaux). Anne-Catherine Gillet incarne quant à elle la candide Sonia, amoureuse constante de Cyrille, auquel le bonheur est promis. Sa voix fine aux aigus ronds et agiles dispose d’un charmant et long vibrato. Son chant, qu’elle accompagne de la main, gagnerait seulement à être plus nuancé. Elle obtient pour son air de l’acte III les premiers applaudissements du public.
Dans le rôle de Kostska (le père de Cyrille), Renaud Delaigue impose sa voix au magnifique timbre large et profond. Malheureusement, son chant souffre d’un manque de précision rythmique (qui se règle toutefois dans la seconde partie) et d’un vibrato si large qu’il déstabilise la ligne de chant. Nora Gubisch (interviewée par nos soins en marge de cette production) est une Diseuse de bonne-aventure, accompagnée de bois (hautbois et clarinette) enjôleurs. Sa belle diction aux « ou » très fermés se rehausse d’un vibrato rond et calme. La voix longue a l’intensité dramatique requise pour ce rôle, hélas restreint à quelques phrases. « Et puis ? C’est tout » !
Jean-Gabriel Saint-Martin révèle en Kolenati (homme de main du Comte) une voix sûre et bien projetée de baryton, sombre et brillante. Rémy Mathieu campe un fier Mochkou au timbre doux et clair, bien articulé et bien projeté. Anas Seguin brille lui aussi en Sergent recruteur de sa voix couverte et riche en timbre, au bel et fin vibrato. Luc Bertin-Hugault incarne plusieurs petits rôles de sa voix large au timbre sculpté, mais qui s’égare parfois lorsque la projection est poussée à pleine voix.
Le public accueille les artistes avec grand enthousiasme à l’issue de la représentation. Lors d’une prochaine reprise de l’œuvre, quatre éléments pourront permettre de la mettre mieux en valeur : un chœur plus précis, une Kassya plus complexe, un ballet dansé et… des surtitres, essentiels pour une œuvre inconnue afin d’éviter que le public ne passe la représentation la tête baissée vers le livret.
Pour approfondir, lisez nos interviews de Michael Schonwandt, de Véronique Gens, de Cyrille Dubois ou encore d’Alexandre Duhamel.