Tragi-comique Reinoud van Mechelen à Montpellier
À peine accordés, les quatre musiciens entonnent une courte pièce instrumentale de Marin Marais. Reinoud van Mechelen s’installe sur une chaise où il montre ostensiblement son ennui. L’air gêné, les instrumentistes lui font signe de plus en plus clairement que c’est à son tour de chanter. Le violoniste doit même le tirer de son siège. Pince-sans-rire, le ténor entonne alors Rien du tout, pièce comique de Nicolas Racot de Grandval sur un chanteur qui ne veut chanter que ce qui le chante. Le ton est donné. Pourtant, c’est un changement de style radical qui est opéré pour la cantate suivante, Pyrame et Thisbé de Louis-Nicolas Clérambault, concentré tragique de passions shakespeariennes. Mais l’absurde revient bien vite avec Ragotin de Laurent Gervais, qui conte les efforts ridicules d’un notable pour séduire sa belle (« tous ses défauts étaient en grand, et ses vertus en miniature », précise le texte). Pour cette dernière cantate, le ténor prend un plaisir malicieux à altérer sa voix à l’extrême, « glapissant tendrement » et clignant des yeux tant son timbre devient aigre.
Tout au long du récital, Reinoud van Mechelen expose sa maîtrise experte du style baroque, son art consommé du récitatif, la précision chirurgicale de sa diction, aux « r » rondement roulés. Dans la troisième cantate, il adopte même un vieux français restitué, transformant les sons « oi » en « ouai », et appuyant sur des liaisons généralement tues (« la nuit éternelle », par exemple). La voix est souple et son timbre soyeux reste très homogène du medium aux aigus, se boisant harmonieusement dans les graves. Il joue d’un porté de voix exagéré qu’un vibrato diaphane fleurit parfois. Le chant nuancé reste très maîtrisé dans les piani.
Il est accompagné des quatre musiciens de son ensemble A nocte temporis. Anna Besson alterne entre le son chaud et mordoré de sa flûte traversière et les lignes vives et mutines du piccolo baroque. Salomé Gasselin manie la viole avec engagement et un visage expressif, produisant un son fin et poétique sur des rythmes chaloupés. Au clavecin (magnifiquement peint), Philippe Grisvard démontre son agilité et une grande attention portée à ses partenaires, lui permettant d’impulser les dynamiques en veillant à la cohérence d’ensemble. Enfin, le violoniste Emmanuel Resche se montre impliqué théâtralement, sifflant et ronflant au gré des actions décrites dans le texte des cantates. Son instrument produit un son mat et saillant qui dialogue activement avec le chanteur.
Après un bis extrait des Fêtes vénitiennes de Campra, très nuancé, l’Ensemble quitte un public de festivaliers séduit.