Le Festival de Montpellier, c’est Issé et maintenant
A la fois typique de son temps et d’une grande fraîcheur (Destouches a 25 ans lorsqu’il compose l’œuvre), Issé ne peut renier sa filiation à Lully, par son formalisme, d’abord, par son propos, ensuite. L’œuvre, en un prologue et cinq actes, enchaîne les scènes et les figures imposées (scènes guerrière, champêtre, bucolique, mélancolique, comique), peintes dans le respect des conventions. Le livret, aux quelques longueurs, est tout aussi classique : malgré l’assiduité d’Hylas, la nymphe Issé aime le berger Philémon, qui n’est autre que le dieu Apollon déguisé. A côté de ce triangle amoureux, le couple formé par Doris et Pan (qui vante l’amour volage) apporte une touche comique. La fraîcheur qui distingue l’œuvre vient toutefois de la musique, plus expressionniste et d’une grande vivacité, et du texte piquant, notamment dans les échanges entre Pan et Doris.
Louis-Noël Bestion de Camboulas dirige son ensemble Les Surprises avec vigueur et souplesse. Les pupitres de bois, debout à jardin, fléchissent les genoux pour mieux faire corps avec leur instrument. Les flûtes apportent leur douceur mélancolique, les hautbois leur virtuosité expressive. Les violons sont précis, bien emmenés par la captivante Sophie Iwamura. Le percussionniste attire à la fois l’œil et l’oreille par son utilisation experte d’une grande diversité d’instruments. Les 21 musiciens jouent avec une évidente complicité qui se reflète dans la dynamique musicale.
Eugénie Lefebvre interprète le rôle-titre avec un engagement candide et convaincant, mais qui mériterait d’être plus nuancé. Sa voix aérienne est riche en timbre. Son vibrato rapide et frétillant se fond en trilles et en mélismes avec légèreté. Sa diction soignée (ce qui est important en l’absence de surtitres) s’appuie sur des « r » roulés avec finesse. Dans le rôle de Philémon/Apollon, Martial Pauliat dévoile un très beau timbre velouté bien porté par une émission très directe, qui fragilise cependant ses aigus et cause de légers problèmes de justesse. Si sa prosodie est claire, ses fins de phrases restent parfois abruptes du fait d’un souffle un peu court. Hylas emprunte la voix bien posée et couverte d’Etienne Bazola. La projection est robuste dans le médium, mais le baryton doit baisser le menton pour former ses graves, ce qui nuit à leur volume. Il exprime à merveille la mélancolie par son sens de la nuance et un phrasé ciselé.
Chantal Santon chante le rôle de Doris avec des intentions théâtrales et un chant expressif. Sa voix est le plus souvent épaisse et souple, mais elle sait affiner et rigidifier son empreinte vocale pour exprimer des reproches. Dans son chant des oiseaux, ses vocalises de pinson, d’une grande musicalité, se posent sur une voix droite bien maîtrisée. Matthieu Lécroart est le Pan de cette histoire : d’une voix large et lumineuse, il campe un Jupiter tonnant, au timbre nuancé, se modulant au gré des couleurs du texte. Souvent distribué dans des œuvres comiques, il adopte une attitude faussement cérémonieuse, sourire en coin, pour lister les avantages de l’amour inconstant.
Se détachant d’un chœur réduit à six artistes, Stephen Collardelle expose un timbre soyeux mais à l’émission timide en Berger, et paradoxalement plus vigoureuse en Sommeil. David Witzak dispose de beaux aigus bien émis tandis que Cécile Achille s’appuie sur un timbre suranné pour offrir un chant fin et doux. Enfin, le timbre pur d’Amandine Trenc s’accompagne d’un sourire lumineux.
La salle, malheureusement loin d’être pleine, salue avec enthousiasme ce travail de redécouverte d’une œuvre de valeur, qui sera reprise à Versailles en octobre (réservation ici).