L’heure exquise de Christophe Gay à l’Opéra national de Lorraine
Il y a ceux qui l’ont déjà vu incarner la folie hilarante de Haly dans la reprise de la production de David Hermann, et ceux qui viennent voir celui qu’ils entendront aux prochaines dates de L’Italienne à Alger à l’Opéra national de Lorraine. Le public est en tout cas dense dans le magnifique foyer pour un récital qui offre au baryton Christophe Gay l’occasion de montrer une facette totalement différente avec des mélodies françaises de Fauré et Poulenc. Trait d’union avec l’Amérique également, puisque certaines mélodies au programme ont été composées par Samuel Barber et que David Zobel, merveilleux pianiste de ce récital, a accompagné la grande Joyce DiDonato ces dix dernières années.
Débutant le récital par Fauré, Christophe Gay rappelle en préambule l’histoire des mélodies de La Bonne Chanson. Verlaine avait dédicacé son recueil à sa future femme, Mathilde Mauté de Fleurville, avant la rencontre foudroyante du génial Rimbaud, et Fauré, choisissant neuf des poèmes du recueil, avait connu une passion brève avec la cantatrice Emma Bardac, future Madame Debussy, au moment de la composition du cycle.
Ces mélodies amoureuses sont portées par le piano au frappé doux et presque onctueux de David Zobel, en concordance parfaite avec les trilles égrenés d’Une Sainte en son auréole. La lune blanche toute en légèreté musicale et optimisme du texte, offre une belle descente sur « bien-aimée », avant que le rythme ne s’accélère sur J’ai presque peur en vérité. La crainte des paroles s’apaise sur le dernier vers, « Que je vous aime, que je t’aime ! », dont Christophe Gay tient le dernier mot et véhicule la chaleur du sentiment. Les graves sont solides sur la « pâle étoile » d’Avant que tu ne t’en ailles, suivis d’une belle montée sur le « thym » du dernier vers de la strophe. Le « soleil d’or » final offre un vibrato chaleureux. L’expressivité du piano de David Zobel est toujours somptueuse pour Romances sans paroles du même Fauré (dont le titre homonyme de Mendelssohn allait plus tard inspirer… Verlaine).
Les Mélodies Passagères suivantes sont un formidable mélange de trois nations. Barber les composa sur des poèmes français de Rainer Maria Rilke, et ces Mélodies furent présentées pour la première fois à New York en 1952, avec le baryton Pierre Bernac et son pianiste, un certain… Francis Poulenc. Un cygne « avance sur l’eau », par le chemin du piano, onde délicate, et par les aigus veloutés de Christophe Gay qui transmet par ces nuances la majesté de l’oiseau. Lui succède, bien plus sombre, le bouleversant Tombeau dans un parc. Les aigus se font bien enveloppants pour le « tendre enfant » qui repose, les graves suivants rappellent la tonalité du poème, la « dalle » sous laquelle repose l’enfant, la dernière syllabe de « tombe » (le verbe cette fois), descendue et émouvante, longuement tenue. Le clocher chante réjouit, léger dans ses tonalités et hardi dans le détachement des syllabes, les « Valaisannes » offrant un aigu final bien tenu.
David Zobel rythme ensuite les mouvements de tête du public par une Valse joyeuse extraite de l’Album des 6 de Poulenc, introduction à ses Chansons villageoises sur des poèmes de Maurice Fombeure. Les textes, plus crus, oscillent entre la légèreté, la grivoiserie et la dénonciation de la guerre et de la pauvreté. Ces chansons sont également un périlleux exercice de diction rapide. La Chanson du clair tamis est parfaitement exécutée, sans le moindre accroc dans l’articulation, le « scarabée » final rendu comique par l’appui sur ses syllabes et une voix grondante et malicieuse. « Le mendiant », de tonalité mineure, dénonce les « épiciers et taverniers », ceux qui « n’aiment pas les va-nu-pieds ». L’oralité et le parler populaire du texte sont rendus par le baryton, colérique sur le « va-t’en » qui chasse le mendiant, et par l’expressivité de son regard. Le rythme saccadé du dernier air, « Le retour du sergent », s’exprime par le piano aux accents de marche militaire, et par le texte asséné dont la colère éclate dans un aigu fiévreux sur « morts » au « r » roulé.
Deux rappels sont offerts, la chanson hispano-italienne Toréador de Poulenc et Cocteau, syncopée et oscillant entre « Venise » et « mantilles », ponctuée du rire de Christophe Gay qui rappelle celui de Haly, et dans un tout autre genre, Nature boy, standard de jazz d’Eden Ahbez, titre-phare de Nat King Cole. Christophe Gay tient beaucoup à ce morceau et l’exécute dans un excellent anglais, au phrasé souple, aux diphtongues fines qu’il ponctue de mélismes. Sa plus belle phrase finale, « the greatest thing you’ll ever learn, is just to love and be loved in return » (la plus grande chose que tu apprendras jamais, est simplement d’aimer et d’être aimé en retour), permet un passage harmonieux du grave de « love » à l’aigu de « be loved ». Les accents du piano, cette fois, quittent habilement le classique pour le jazz, sous les applaudissements du public.