Une touche de XVIIIème siècle à Stockholm
Bâti avant le célèbre Théâtre de Drottningholm, le Théâtre du Château Royal d’Ulriksdal nommé « Confidencen » constitue le plus vieux théâtre rococo en Suède. Lors d’une journée d’études, le laboratoire de recherche « Performing Premodernity », spécialisé sur l’esthétique théâtrale de la seconde moitié du XVIIIème siècle, propose une représentation en public de morceaux musicaux liés à la Cour du Roi Gustave III, francophile notoire et grand mécène des arts, concluant ainsi le travail des cinq dernières années du laboratoire.
La soirée commence avec l’ouverture de Proserpine composée par l’Allemand Joseph Martin Kraus, connu comme « le Mozart suédois », suivie par des musiques tirées d’Il re pastore de Francesco Antonio Baldassare Uttini (composé avant les œuvres homonymes de Mozart et Gluck), de Lucile de Grétry (dans une traduction suédoise), ainsi que de la Proserpine de Kraus.
Mark Tatlow dirige l’Ensemble Baroque de Drottningholm avec une sûreté enviable, notamment dans les ouvertures, musicalement et dramatiquement très réussies, suscitant parmi les spectateurs l’excitation pour le drame à venir. L’acoustique de la salle rend évidents les détails de chaque instrument (même leurs rares inexactitudes) et leurs fonctions contrapuntiques, avec une sonorité tour à tour intime et majestueuse, digne d’un chef-d’œuvre de Gluck ou de Mozart. Les tempi stables mais toujours bien sentis montrent un bon instinct chez Tatlow pour le drame et pour la dynamique sonore de la partition.
Les prestations des jeunes chanteurs Laila Cathleen Neuman (soprano) et João Luís Paixão (baryton) marquent un travail conscient et convainquant incorporant les gestes et les mouvements du XVIIIème siècle. Autant chanteuse qu’actrice, Neuman parvient à faire ressentir le drame y compris dans les récitatifs. Belle et bien articulée ses quelques instabilités dans son registre moyen et ses aigus qui sautent légèrement de la tessiture sont contrebalancés par ses performances d’actrice.
Paixão réunit encore plus manifestement les couleurs vocales d’un jeu chanté, voire parlé, touchant par son pathos et son abord direct de comédien. Quoique bien articulé et projeté, son chant souffre hélas d’une instabilité et d’un manque de souplesse dans les passages de colorature, alors qu’il est plus convaincant dans l’aria pompeuse de Jupiter de Proserpine.
La seconde partie de la soirée offre aux spectateurs un vrai trésor : Gli Elisi, o sia, L’Ombre degli Eroi (L’Élysée, ou Les Ombres des Héros) par Ranieri de’ Calzabigi (le fameux collaborateur de Gluck) et Giuseppe Millico, une cantate créée pour honorer la visite de Gustave III à Naples le 1er mars 1784. Cette redécouverte par Magnus Tessing Schneider offre la belle occasion d’entendre pour la première fois cette musique inédite pour chœur et deux rôles sopranos, ici interprétés par Rodrigo Sosa Dal Pozzo (contreténor) et Sigrid Vetleseter Bøe (soprano), tous deux munis de voix belles et bien équilibrées qui se mélangent merveilleusement dans les duos, l’une tour à tour au-dessus de l’autre.
Le livret assez raffiné de Calzabigi met en scène les ombres de Gustave I et de la Reine Christine, deux ancêtres de Gustave III, dans des costumes très beaux et bien identifiables (signés Anna Kjellsdotter). Après l’ouverture rappelant le style de Gluck, aussi orageuse que comique, le Chœur de chambre de Lilla akademien chante son éloge au roi avec une sonorité juvénile, mais malheureusement un peu en retrait du côté masculin.
Le soprano chaleureux de Vetleseter Bøe se prête aussi bien au drame des récitatifs qu’aux longues lignes et aux coloratures. Son expression directe et naturelle et son autorité réginale se manifestent dans sa maîtrise totale de toutes les nuances de sa tessiture, du percutant au plus intime, révélant un fort instinct musical et vocal.
La virtuosité de Sosa dal Pozzo témoigne d’un travail minutieux avec l’esthétique et le style musical de l’époque. Son chant rayonnant et bien projeté ainsi que son articulation et sa technique ornementale ne laissent absolument rien à désirer (sauf à de rares occasions une légère injustesse). Peut-être doit-on tenir responsable l’arrangement mi-scénique – les deux solistes chantent avec la partition dans les mains – pour sa caractérisation relativement moindre des nuances musicales et textuelles.
Il reste à espérer que cette musique sera disséminée à l’étranger et que les chercheurs autour de Performing Premodernity seront prêts à répandre leurs vastes connaissances sur les pratiques du XVIIIème siècle.