Légion d'Honneur pour Jupiter, en marche !
L'archiluthiste et le violoncelliste étant surélevés sur une haute estrade, le claveciniste jouant debout, leurs visages sont à la même hauteur que le quatuor à cordes, debout également. Cet Ensemble Jupiter n'est pas une monarchie toute puissante (ni un Empire, même s'il joue ici devant le portrait de Napoléon Bonaparte : fondateur de cette maison faite pour accueillir les orphelins de parents décorés, donc notamment de ses soldats). Jupiter est une galaxie, dans laquelle les musiciens peuvent déployer leur individualité. Plusieurs concertos offriront même l'occasion de briller aux instrumentistes.
Cet esprit de communion visible et audible offre donc un bel écrin pour l'entrée de la chanteuse soliste. L'appréhension première de Lea Desandre est cependant visible, mais aussi compréhensible puisqu'elle doit ouvrir la voix de ce nouvel ensemble. La douceur et le talent lui permettent toutefois de mettre cette appréhension au service de son inspiration et son émotion, très seyante pour le premier air : "Vedro con mio diletto" extrait d'Il Giustino. L'assurance se conquiert dès le deuxième air, "Armatae face et anguibus" de Juditha triumphans versant même dans la fureur : coups de fouets vocaux sur "fu", mouvement preste des instruments qui craquent déjà les premières étincelles de Jupiter, comme celles d'un public offrant un tonnerre d'applaudissements dès la fin de ce second air du programme.
Desandre cède sa place de soliste au basson (tenu par Peter Whelan), qui mérite une grande admiration pour son jeu sur cet instrument ancien "ingrat" dans le cadre d'un concerto, tant l'écart de volume à travers les registres est important (mais principalement peu audible dans les ensembles, bien que l'investissement du virtuose le laisse littéralement à bout de souffle). Ce n'est que dans le mouvement lent, l'accompagnement s'amenuisant, qu'il peut caresser sa ronde beauté boisée. Bien que sur un accompagnement réduit au quintette, le luth soliste de Thomas Dunford peine également à se faire entendre (et le jeune effectif est certes encore en rôdage sur certaines synchronisations rythmiques), mais Dunford déploie toute sa digitalité lorsque vient son tour de briller. Cependant, dans le mouvement lent qui permet de bien l'entendre, il choisit une exécution mécanique, évitant certes le pathos mais aussi l'émotion. Cela convient toutefois à la saltarelle du dernier mouvement, tous se retrouvant sur l'alerte sautillé. Le concerto pour violoncelle (Bruno Philippe) rappelle l'utilité d'un long accordage, même si les notes râpeuses pigmentent la nostalgie du mouvement lent (en trio avec luth et clavecin) et n'empêchent pas les accents vigoureux des autres parties tutti.
Desandre reprend après l'entracte avec la terreur pétrifiante d'Il Farnace "Gelido in ogni vena" (Dans chacune de mes veines je sens couler mon sang glacial, l'ombre de mon fils sans vie me remplit de terreur). Ses vocalises (toujours fournies) salent ses larmes vocales (mais qui mouillent réellement ses yeux) jusqu'au seuil de l'inaudible (mais perceptible).
Après un nouvel et long accordage, le Nisi Dominus est joué par tous les archets sur la touche offrant un son idéalement feutré pour enchaîner dans la douceur ces montées modulantes chromatiques (les notes montent par demi-tons, entraînant des changements de modes musicaux et notamment des passages depuis les frottements, vers le mineur, vers le majeur). Une écriture idoine pour Lea Desandre qui glisse sur les mots du bout des lèvres en long crescendo.
Le programme se conclut par la douceur de L'Olimpiade ("dormi, amor") puis l'agitation de mordants et de trilles pour Griselda ("Agitata da due venti"). Mais l'Ensemble offre en outre deux bis, toujours dans leur esprit de franche camaraderie, s'adressant même au public en annonçant ainsi la nouvelle exécution d'Armate face furie : "on se disait que ça manquait de notes" (une référence au film Amadeus qu'Arte rediffusait en même temps que ce concert, et dans lequel figure la célèbre phrase de Joseph II : "Trop de notes, mon cher Mozart !"). Rappelant qu'ils mêlent la jeunesse à la camaraderie et au talent, ils proposent enfin un "bis sur l'amitié sur des penchants baroques avec un petit twist" : une étonnante improvisation dans laquelle le luth solo prend des accents de guitare électrique, le violon swingue, l'orgue se fait orgue Hammond pour un chœur chantant "another dimension, people, music and particles become one".
1er concert en France de @ensjupiter @FEST_ST_DENIS . Immense succès ! pic.twitter.com/tzkWilWkCQ
— Opus 64 (@opus__64) 17 juin 2018