Garanča prend Bordeaux
Pour ces débuts, la mezzo-soprano lettone propose un programme de récital tout en séduction, révélant une partie de l'étendue de son répertoire, parcourant Schumann, Rachmaninov, Saint-Saëns, Bizet et Chapí. L'entrée sur scène est chaleureuse, mais sobre comme sa chevelure blonde attachée, sa belle robe longue émeraude fendue à l'avant.
Le premier opus proposé est Frauenliebe und Leben (L'amour et la vie d'une femme) de Robert Schumann. Un cycle intimiste durant lequel Elīna Garanča déploie sa belle voix ronde et chaude avec beaucoup de subtilité, de nuance et de grâce. Claire et précise, l'articulation allemande est parfaitement maîtrisée (preuve que ses années de jeunesse avec ses premiers contrats professionnels en Allemagne ont porté leurs fruits). Le piano de Malcolm Martineau souligne la femme amoureuse qui s'y révèle, sublime hommage à l'amour conjugal et à la femme en général sur des poèmes d'Adelbert von Chamisso (peut-être l'un des premiers "féministes"), que Schumann met en musique pour sa future épouse Clara. L'accompagnateur se fera également soliste pour "Clair de lune", Suite Bergamasque de Claude Debussy, avec légèreté de touché dans des nuances adaptées au style (et au retour du chant).
Suivent cinq mélodies de Sergueï Rachmaninov, comprenant quelques-unes de ses plus belles compositions. Le chant prend tout de suite une autre qualité de timbre, plus slave, passionnant avec son expression vocale encore plus large. La dernière mélodie, « Ma Belle ne chante pas devant moi » est l'une des plus belles (appréciées et applaudies) de la soirée, notamment par la maîtrise des nuances, entre forte et pianissimi des notes aiguës.
L'entrée sur scène après le court entracte la présente en robe rouge sang de "Femme Fatale". La jupe longue et les motifs floraux du haut en dentelle donnent une influence espagnole. Elle reprend pourtant par deux extraits de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns : « Amour viens aider ma faiblesse » et « Mon cœur s'ouvre à ta voix ». Portée par le triomphe de sa récente prise de rôle à Vienne (avec celle de Roberto Alagna), l’interprétation est pleinement lyrique, en pleine voix riche et ronde, ne manquant d'aucune nuance théâtrale. Sa belle voix grave se déploie librement et sans effort. La volupté de ses tons medium jusqu'aux aigus ne perd jamais ni aisance, ni beauté.
L'Espagne s'impose alors, avec sa célèbre Carmen de Georges Bizet, « Séguedille », « Carreau, pique... En vain pour éviter les réponses amères » et « Habanera ». Toujours aussi à l'aise (comme dans notre compte-rendu de sa prestation à Bastille, avec Alagna à nouveau), elle peut se permettre de flirter avec son public. Sa Carmen n'est pas qu'un fort caractère, mais une séductrice.
Espagne encore, Espagne enfin : le récital se conclut par la Zarzuela de Ruperto Chapí « Carceleras » extrait de Las hijas del Zebedeo. C'est bien évidemment impossible, mais le morceau semble avoir été écrit pour sa voix. La prouesse est évidente dans les phrases mélismatiques ainsi que les trilles remarquables, exécutés avec précision, dans une longue progression crescendo. Cette progression jusqu'à l'aigu final électrise le public dont les applaudissements et bravi résonnent dans tout le théâtre.
Madame Garanča, généreuse et magnanime, accepte les multiples demandes de bis et offre le grand air de Santuzza dans l'opéra Cavalleria Rusticana « Voi lo sapete » de Pietro Mascagni (notre compte-rendu de sa prise du rôle à Bastille). L'air est interprété dans le style italien vériste (verismo, réalisme) avec beaucoup de passion sans perdre la moindre qualité de chant et de phrasé. Les grands élans de grande souffrance émotive sont pleinement offerts. Pour un deuxième rappel, la Garanča propose l'air de Lauretta dans Gianni Schicchi « O mio babbino caro ». Normalement écrit pour soprano et non pour mezzo-soprano, ce chef-d'œuvre est néanmoins exécuté avec tellement de facilité et ses superbes pianissimi, qu'elle a de quoi rendre jalouses toutes les tessitures.
Bien sûr, le public entier est de nouveau debout à la fin du morceau. Il est vrai qu'Elīna Garanča est une personnalité rare et fait partie d'une toute petite élite de grands interprètes que l'on admire aujourd'hui sur les plus grandes scènes du monde entier. Son agilité vocale rivalise avec sa présence scénique. Sa voix riche et le velouté de son timbre imprègnent chaque phrase d'émotion et de subtilité. Une très belle soirée pour les Bordelais.
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