Chapelle Royale de Versailles : Filippo Mineccia triomphe dans un récital Jommelli
Le programme, conçu comme un hommage à Niccolò Jommelli (1714-1774), ne comporte que trois pages qui ne soient pas signées de la main du compositeur napolitain : la Sinfonia en sol mineur de Hasse, dont l’Allegro ouvre le concert, un extrait du Vespasiano de Domenico Sarro, et un air du San Antonio di Padova de Francesco Durante. Les autres extraits proposés sont tirés de deux opéras, La Clémence de Titus (1753) et Pelope und Enea (1755), mais aussi d’oratorios, La Passion de notre Seigneur Jésus-Christ (1749) et Les Lamentations pour le Mercredi Saint (1751) et de la Cantate pour la nativité de la bienheureuse Vierge (1750). Enfin, la Sinfonia pour deux violons et basson sert de transition entre la première et la seconde partie du concert.
Le lieu, la présence de plusieurs pages d’inspiration religieuse, le grand sérieux amsi aussi l’extrême concentration du chanteur donnent au concert une atmosphère de quasi recueillement. De toute évidence, Filippo Mineccia est venu, ce soir, faire de la musique et non assurer un spectacle dont il serait la principale attraction : son art et sa personne s’effacent presque en se mettant au service des compositeurs et des pages qu’il vient présenter au public. Afin de ne pas rompre la continuité du spectacle par de trop nombreux applaudissements, le chanteur a choisi une solution qui témoigne de sa modestie et de sa probité artistique : lorsqu’il quitte le plateau, il prend systématiquement soin de laisser l’orchestre jouer l’introduction de la page qu’il va chanter avant de regagner ainsi la scène. Le public, ainsi, ne l’applaudira qu’à la fin du morceau. Lorsqu’il chante, sa concentration est étonnante. Les regards adressés au public sont rarissimes, le contre-ténor chantant la quasi intégralité de la musique les yeux fermés, comme concentré sur lui-même et les œuvres qu’il sert. Le contact avec l’auditoire s’effectue autrement : par la voix bien sûr, mais aussi par d’amples et souples mouvements des bras et des mains qui semblent sculpter les phrases musicales.
La voix déploie avec aisance son velours pourpre dans le registre d’alto : chaude, colorée, expressive, ce n’est peut-être pas dans la pyrotechnie ou les injonctions impérieuses qu’elle brille le plus, encore que sa virtuosité soit loin d’être négligeable : les vocalises sont précises mais chantées avec un naturel tranquille. Quand le contexte dramatique l’exige, Filippo Mineccia sait aussi faire montre d’une autorité bienvenue dans le chant et la déclamation (« Fra il mar turbato » du Bajazette de Jomelli, donné en bis). Mais c’est avant tout dans l’élégie, la plainte, la douceur que son art est le plus convaincant : la liaison entre les différents registres, le legato soigné qui en découle, les nombreuses nuances dont il pare son chant y font merveille.
L’Ensemble Nereydas accompagne le chanteur dans les différentes émotions qu’il met en voix avec une précision et une justesse impeccables, qu’il s’agisse pour la guitare baroque d’évoquer le fouet du « Ritornera fra voi » / « Tu retourneras parmi les tiens » de La Passion de notre Seigneur Jésus Christ, pour la contrebasse de traduire, par les pizzicati répétés, les battements du cœur de Sesto (La Clémence de Titus), ou pour les cordes de dérouler les vagues douloureuses et tourmentées sur lesquelles se pose la plainte du « O vos omnes » : « Ô vous tous » des Lamentations pour le Mercredi Saint. La complicité entre l’orchestre et le chef Javier Ulises Illàn, d’une implication remarquable, est totale, celle entre le chef et le chanteur ne l’est pas moins. Une complicité qui se double d’une admiration réelle, Javier Ulises Illàn laissant échapper un « Bravo Filippo ! » juste avant que l’orchestre ne quitte la scène.
Standing ovation pour le contre-ténor et les artistes. Pour patienter jusqu'à un prochain récital, il reste le magnifique Jommelli album, enregistré par les mêmes artistes et dans lequel on retrouve l’essentiel des pages interprétées ce samedi soir.