Xavier Sabata rayonne en Rinaldo au Théâtre des Champs-Élysées
Proposé en version concert au Théâtre des Champs-Élysées, Rinaldo de Haendel est ici dépouillé de toute machinerie composant son extravagante et fastueuse mise en scène initiale (avec des oiseaux vivants dans les jardins d’Armide) puis ses variations modernes (fantasmagoriques à Nantes et à Compiègne cette saison). Les voix portent ainsi seules l’édifice de cet ouvrage à la partition redoutable pour chaque interprète. Le rôle-titre revient à Xavier Sabata, héros croisé dévoué pour sa fiancée Almirena (Sandrine Piau) soutenu par Goffredo et son frère Eustazio (Jason Bridges) contre Argante (Christopher Lowrey), Roi de Jérusalem, et contre la magicienne et Reine de Damas Armida (Ève-Maud Hubeaux). À leurs côtés, Tomislav Lavoie endosse le rôle du Mage, Santiago Garzon-Arredondo celui d’Araldo alors qu’Anastasia Terranova prête sa voix aux envoûtantes sirènes. L’ensemble est de haut vol, les solistes transcendant les difficultés techniques de l’ouvrage pour proposer une interprétation marquante soutenue par un Orchestre de Chambre de Bâle plein de fraîcheur dirigé depuis le clavecin de Christophe Rousset.
Xavier Sabata est un Rinaldo flamboyant, habile dans l’expression des différents états d'âme du personnage, soutenu par un jeu d’acteur d’une belle intensité et par un appréciable détachement de la partition. Dans l’aria "Ogni indugio d'un amante", le contre-ténor ne fait qu’une bouchée des vocalises et des phrases rapides tout en conservant une heureuse conduite de la voix. Amant dévoué, le chanteur offre un "Cara Sposa" d’une grande expressivité, cherchant son aimée dans le public ("Dove sei ?") et décrochant en des phrases lentes très legati des notes soignées s’atténuant dans des mediums couverts et résignés. Au lamento répond la vaillance d'un "Il tricerbero umiliato" soutenu à l’unisson par l’effectif des cordes puis la fureur du "Venti, turbini, prestate" incarné en une voix tourbillonnante, ouvrant les mélismes sur des notes résolues.
À ses côtés, Jason Bridges porte Goffredo et Eustazio d’une voix de caractère au timbre d’airain seyant convenablement à ces deux personnages. Dans la rapide aria "Sulla ruota di fortuna", s’accrochant à son pupitre lors de longues et redoutables vocalises, l’interprète appuie son propos avec le corps, perdant légèrement en souplesse. Vaillant et fidèle soutien du héros ("Ti consola, geerman, Rinaldo, spera !"), il montre une diction agréable, en particulier dans les passages a tempo plus modérés ("Mio cor, che mi sai dir ?"). Christopher Lowrey offre un Argante à la voix claire et légère, embrassant les lignes les plus écrites avec aisance et élégance. Bien en place rythmiquement, il délivre les passages agités avec un beau grain de voix. Offrant de savoureux récitatifs où sa passion naissante envers Almirena se dévoile d’une voix épanchée ("Tu, del mio cor reina"), il retrouve finalement Armida en des lignes soyeuses ("Dunque mi sia concesso"). Pour lutter contre les sorts de cette dernière, le Mage, incarné par Tomislav Lavoie, est porté par une heureuse prestance scénique et par une voix ample et juste. Dans son unique aria "Andate o forti", il montre des médiums chantants et des vocalises aux notes légèrement appuyées.
Fiancée de Rinaldo, Almirena est incarnée par une Sandrine Piau bouleversante. Voix ondulée d’une grande souplesse au timbre velouté, dessinant dans l’espace les lignes les plus rapides par de légers mouvements de la main, elle déploie trilles flûtées et staccati bien détachés. Très vibrée et ample dans la méditation sur ses tourments ("Armida, dispietata!"), la voix se fait délicate et légère dans l’évocation du zéphyr ("Augelletti") puis d’une dignité belle dans l’éternel "Lascia ch'io pianga" (les "libertà" livides), offrant lors de la reprise de généreuses ornementations légèrement appuyées sur les temps et pleines de grâce. Vêtue d’une longue robe noire scintillante, Ève-Maud Hubeaux incarne admirablement Armida, dont elle sait montrer toute la formidable fureur. La mezzo donne la tonalité dès son entrée en scène par un "Furie" pris au fond de la gorge et puissamment timbré, suivi de médiums corsés et de vocalises redoutables dont elle fait fi comme par un coup de baguette magique. Sa modulation de timbre est des plus exquises lorsque, soudainement éprise de Rinaldo, elle délivre des aigus laineux s’achevant dans un soupir ("T’amo, oh caro"). Éconduite par le héros, s’ensuit un duetto ("Fermati !" avec Rinaldo) plein de saveur offrant un alliage de choix des deux timbres. La voix d’Anastasia Terranova se prête à merveille à celle des Sirènes, expression d’un ailleurs ("Il vostro maggio"). Légère, très ondulée, presque fluette parfois, elle dévoile des aigus caressants rappelant les ondines.
Plein d’énergie dès l'ouverture à la française, l’Orchestre de chambre de Bâle dirigé par Christophe Rousset se montre savant dans la figuration de l’intrigue et dans l’expression du caractère des différentes arias avec une précision rythmique implacable y compris lors des passages les plus rapides. Très soignées, les respirations ("Lascia ch'io pianga") permettent au discours musical d’être bien articulé et de rendre plus manifeste, au milieu de silences pleins de majesté, toute la saveur de la partition du compositeur. Un spectacle acclamé de part en part par un public enthousiaste !