La Passion selon Saint Jean ouvre le Festival d’Auvers-sur-Oise
Avant même que le concert ne commence, l’ambiance est au recueillement dans la belle Église Notre-Dame-de-l'Assomption d’Auvers-sur-Oise, grâce notamment aux huit magnifiques panneaux de résine sur fibre de verre créés par l’artiste Xavier Boggio (peintre-sculpteur invité du Festival jusqu’au 3 août), évoquant les migrants, les souffrances et les épreuves qu’ils endurent, l’espoir qui les anime, mais aussi, en creux, les valeurs partagées par ceux qui les accueillent : la compassion, l’amour, le respect. Autant de thèmes qui sous-tendent également le texte et la musique de ce qui constitue le premier (génial) essai de Jean-Sébastien Bach dans le genre de l’oratorio.
Dès les premières mesures du chœur d’introduction (« Herr, unser Herrscher »/« Seigneur, notre Seigneur »), le ton est donné : l’ondoiement dessiné par les cordes et l’intense contrepoint des vents déroulent un tapis sonore sur lequel viennent se poser les voix, esquissant ainsi les contours d’un tableau dont le sublime et le tragique n’excluront pas l’émotion ni la finesse du trait : autant de caractéristiques dont les forces de La Chapelle Harmonique et leur jeune chef Valentin Tournet ne se départiront pas, pour une lecture de l’œuvre pleine de recueillement, d’humanité mais aussi d’émotion et de tensions dramatiques. La sobriété et le recueillement participent des pages doloristes de l’œuvre, et la suppression du clavecin ou du théorbe au profit d’un orgue aux couleurs peut-être plus luthériennes, n’est bien sûr pas étrangère à l’impression de recueillement tragique qui se fait jour plus d’une fois au fil du concert. Mais la dimension purement dramatique de l’œuvre ne s’en trouve pas négligée pour autant : sans jamais verser dans un langage qui serait celui d’un opéra, Valentin Tournet met en lumière tout ce que l’œuvre comporte de tensions, voire de théâtralité, proposant ainsi une harmonieuse alternance de passages méditatifs, d’actions ou de gestes dramatiques, de commentaires, de déplorations.
La disposition spatiale des musiciens témoigne du travail d’équipe qui a présidé à la préparation de ce concert : à l’exception de Jésus, placé sur la gauche du plateau (interventions convaincantes de Sebastian Noack, malgré parfois un léger vibratello retirant un peu de noblesse à ses propos) et de l’Évangéliste d’Andrew Tortise, belle et saine voix, excellent dans son double rôle de narrateur et de coloriste (en ceci que ses interventions projettent un reflet particulier sur les différents morceaux qu’elles relient entre eux), les chanteurs sont relégués derrière l’orchestre et se fondent dans les chœurs – sauf lors de leurs interventions solistes.
Le chant de la soprano Kristen Witmer séduit par sa musicalité, le dialogue gracieux qu’il instaure avec les traversos (flûtes traversières baroques) dans « Ich folge dir », l’émotion qu’il distille dans la tragique conclusion de son dernier air (« Zerfließe, mein Herze »/« Pleure, mon cœur ») : « Dein Jesus ist tot » (« Ton Jésus est mort »). Le ténor Thomas Hobbs fait valoir une belle voix lumineuse, un legato soigné et de longues tenues de souffle parfaitement maîtrisées dans « Erwäge, wie sein blutgefärbter Rücken » (« Regarde comme son dos ensanglanté »). Il se montre particulièrement touchant et convaincant dans le registre de la suavité. La voix de Daniel Elgersma, pleine de chaleur et de douceur, est d’une grande homogénéité sur l’ensemble de la tessiture (même si elle plafonne parfois un peu dans l’aigu) : le poignant « Es ist vollbracht ! » (« Tout est accompli ! »), plein de douleur, de sobre émotion (et à l’occasion duquel Valentin Tournet retourne à ses premières amours en redevenant momentanément violiste), est assurément l'un des moments les plus émouvants de la soirée. Mais les plus belles satisfactions vocales proviennent de Stephan MacLeod, auquel échoient les interventions graves, capable de traduire l’émotion la plus tendrement douloureuse (« Betrachte, meine Seele »/« Contemple, mon âme »), l’urgence de l’injonction « Eilt, ihr angefochtnen Seelen ! » (« Venez, âmes blessées ! »), le désespoir angoissé (splendide « Himmel reiße »/« Cieux, ouvrez-vous », dont le contraste étonnant entre le chant tourmenté de la basse et les lignes épurées des sopranos est magnifiquement souligné par la direction du chef), comme le recueillement de la prière « Mein teurer Heiland » (« Ô, mon sauveur »).
« Betrachte, meine Seele » par Stephan Macleod :
Le chœur de La Chapelle Harmonique, enfin, se montre en tout point digne de l’enjeu : homogénéité des voix au sein de chaque registre, égalité des registres entre eux, rigueur (très beau « Lasset uns den nicht zerteilen » (« Ne la déchirons pas »), dont la précision permet de faire clairement sonner les allitérations en /s/), dramatisme des chœurs insérés dans le récit, noblesse et émotion contenue de ceux qui, à l’instar du chœur des tragédies antiques, assurent plutôt une fonction de commentaire. Ainsi en est-il de « Ruht wohl, ihr heiligen Gebeine » (« Repose en paix, dépouille sacrée ») ou des deux splendides prières finales : « Ach Herr lass Dein lieb Engelein » (« Ah, Seigneur, laisse Ton cher petit ange ») et « Christe, du Lamm Gottes » (« Christ, agneau de Dieu »).
« Christe, du Lamm Gottes » par la Chapelle Harmonique et Valentin Tournet :
Pour celles et ceux qui n’auraient pas pu se rendre à Auvers-sur-Oise – ou aimeraient vivre une nouvelle fois l’émotion suscitée par ce très beau concert, une nouvelle occasion se profile : Valentin Tournet et la Chapelle Harmonique interpréteront de nouveau La Passion selon Saint Jean dans la Chapelle Royale de Versailles la saison prochaine !