Viva Verdi, Viva Yoncheva au Théâtre des Champs-Élysées !
Sonya Yoncheva est aujourd’hui, après des débuts surprenants du côté des baroques, la soprano lirico spinto du moment et sans doute pour longtemps. Son jeune frère n’est pas seulement son frère, il possède une jolie (petite) voix de ténor, mais une voix qui porte l’élégie de "La mia letizia infondere" (I Lombardi alla prima crociata). Avec ce beau timbre, mais peu d’étendue, il est plutôt attendu dans un répertoire baroque voire jusqu'à Gluck, Paisiello ou Mozart.
L’Orchestre National Montpellier Occitanie est une très belle phalange, jeune, avec une énergie remarquable et un vrai son ! Il est doté de bons solistes (remarquables bois) et d’une section de violons de haut vol : ainsi, le prélude de l’Acte III de La Traviata tire-t-il aisément les larmes ! Daniel Oren, dont le renom n’est plus à faire, n’y est sans doute pas pour rien. Hormis la Sinfonia un peu clinquante et tonitruante des Vêpres siciliennes, le reste du programme symphonique (La Forza del destino,Luisa Miller) est de grande qualité. Sa "marque de fabrique" est une agitation qui est le plus souvent en retard par rapport à l’effet sonore, donnant davantage le sentiment d’une chorégraphie décalée que d’un geste générateur ou inspirateur du son.
Sonya Yoncheva chante donc un répertoire qu’elle défend par ailleurs avec brio sur les plus grandes scènes. Son "Tacea la notte placida… di tale amor…" (Il Trovatore), qu’elle bisse à la fin du concert, est à la fois élégiaque et énergique avec un son bravache et insolent. Elle a une voix rayonnante, étonnante de projection et de sonorité, sur toute l’étendue, avec une belle gamme dynamique (du ppp au fff : pianississimo au fortississimo), ce qui, joint à la pertinence de ses choix interprétatifs (intelligents et sensibles), avec mille couleurs à la clé, fait d’elle aujourd’hui une interprète majeure. La vedette enchaîne ensuite des airs plus rares : "Tu puniscimi, O Signore…" (Luisa Miller : notre compte-rendu de la retransmission du Met) et "O, nel fungente nuvolo" (Attila), avec les mêmes qualités. Son "Pace mio Dio" (La Forza del destino) magistral montre comment, au-delà de la performance musicale et vocale, elle incarne réellement, avec un sens dramatique puissant et intense à la fois le personnage et le drame, sans pathos attendu ou excessif, simplement juste, et confondante de « naturel ». Dans les beaux sons du bas medium, elle offre parfois même l’écho troublant de sons « callassiens ». Dans "Toi qui sus le néant" (version originale française de "Tu che le vanità" dans Don Carlos) elle démontre aussi sa haute capacité à élaborer une stratégie transversale et à doser ses effets comme un peintre qui au fil de la toile fait apparaître l’image.
Dans "O mia Violetta… Parigi, o cara… Gran Dio, morir si giovine" (La Traviata), avec son frère Marin Yonchev, elle fait en sorte de produire avec lui un joli duo, mais reprend vite son volume naturel pour donner envie d’entendre intégralement cette incarnation éperdue de Violetta. Sous les clameurs et les applaudissements elle bisse donc "Tacea…" et avec son frère le "Brindisi" de La Traviata. Triomphe absolu pour una prima donna assoluta !