Werther de superbe tenue à l’Opéra de Nancy
Au premier acte, le rideau s’ouvre non sur le jardin du Bailli, mais sur le salon de la maison avec tous ces enfants joyeux et emplis de vie. Les murs et le plafond de cette vaste pièce en angle sont recouverts de papiers peints bucoliques un rien défraîchis qui évoquent une campagne idyllique, reflet de cette nature idéalisée par le jeune Werther. Le toit s’entrouvrira selon les scènes et les besoins, faisant apparaître un ciel étoilé lors du fameux "Clair de lune" ou encore les comparses Schmidt et Johann dominant le cortège qui se rend au temple protestant. Peu à peu, le décor se resserre, rendant l’espace de plus en plus étouffant, notamment lors du retour de Werther à Noël. L’espace semble hermétiquement clos autour de Charlotte et lui laisse simplement entrevoir un avenir tout tracé auprès d’Albert. Les différentes robes qu’elle porte marquent cette « évolution » dans la bonne société bourgeoise : fraîche et toute fleurie au premier acte, bleu nuit pour la jeune épousée, plus élaborée au tissu précieux avec une traîne pour la femme mariée. Au dernier acte, le décor disparaît et Charlotte, par son attitude affirmée, se libère enfin. Mais il est trop tard, Werther expire.
Cette fort belle production intelligente et sensible est signée par les soins de Bruno Ravella, épaulé par Leslie Travers pour les décors et costumes et Linus Fellbom pour les lumières. Ces dernières sont proprement magnifiques et magnifient encore un peu plus le spectacle. Le travail de Bruno Ravella privilégie l’intime, que ce soit notamment lors du duo du "Clair de lune" avec ce jeune couple qui se découvre avec des rires presque encore enfantins et une complicité qui s’avère immédiate, le personnage de Sophie qui prend ici un vrai relief et dont l’amour pour Werther est patent, ou le désespoir terrible affiché par Albert lorsque Charlotte part rejoindre Werther : il extériorise alors enfin la passion qui l’anime. Pour sa prise de rôle de Charlotte, Stéphanie d’Oustrac franchit une nouvelle étape dans sa carrière. On connaît son tempérament et son aisance scénique. Elle donne au personnage de Charlotte une authenticité parfaite, passant de l’incarnation de la jeune fille active et toute dévouée à sa famille à la femme amoureuse et passionnée avec aisance. Sa voix de mezzo large, puissante, chaleureuse et conduite avec une rare pertinence lui permet de franchir voire dépasser les écueils de l’acte 3 avec ces airs successifs si périlleux, la lecture de la lettre de Werther et le "Va, laisse couler tes larmes" qu’elle adresse à sa sœur Sophie. L’aigu surprend par sa plénitude, sa palette vocale étendue rendant pleinement justice à la partie lourde et épineuse du rôle de Charlotte conçue par Jules Massenet. À ses côtés et avec la même intensité au niveau de l’émotion, Edgaras Montvidas s’affirme comme un Werther de grande classe avec sa haute stature et un profil vocal certes un peu éloigné d’un certain style français, mais qui emporte l’adhésion pleine et entière. Il maîtrise, à un ou deux détails près, parfaitement la langue française et surtout la prosodie atteint l’idéal. La voix de ténor séduisante et tout emplie de fièvre est conduite de façon savante, l’aigu s’épanouit avec facilité, la demi-teinte, la nuance ponctuant une approche toute personnelle et qui trouve à pleinement s’exprimer dans les duos avec Charlotte.
Philippe-Nicolas Martin incarne un Albert fort présent, jeune enfin, avec un réel tempérament et surtout une approche vocale très affirmée de sa voix de baryton posée, au timbre très coloré, et relativement puissante. Dima Bawab livre une Sophie toute de délicatesse. La voix est jolie, avec un timbre un rien acidulé qui donne au personnage un relief particulier et piquant. Après avoir interprété Albert plus tôt dans sa carrière, Marc Barrard se révèle aujourd’hui un Bailli d’une belle solidité. Éric Vignau ne fait qu’une bouchée avec sa voix sonore et fort reconnaissable de ténor de caractère du rôle de Schmidt, tandis qu’Erick Freulon lui donne une réplique fort juste : les compères se complètent ainsi totalement. Les six enfants solistes issus du Chœur d’enfants du Conservatoire Régional du Grand Nancy remplissent leur partie avec une belle conviction. Une autre des éminentes satisfactions dont ce spectacle est émaillé, émane de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy placé sous la baguette de Jean-Marie Zeitouni. Après un prélude dirigé un peu lentement mais doté d’une profonde densité, comme pour asseoir le drame à venir, Jean-Marie Zeitouni donne vie au théâtre avec éclat et même un peu d’empressement. L’Orchestre emporté par sa direction semble se dépasser, la musique de Massenet rayonnant de bout en bout.