Le Roi Arthur à Genève : le Sacré Graal d'une comédie musicale
King Arthur, or The British Worthy n'est ni un opéra ni une pièce de théâtre, mais un genre hybride connu sous le nom de semi-opéra, pièce parlée avec de nombreuses interventions musicales alternant tragédie et humour. L'œuvre fait partie du genre "masque", un divertissement privilégiant la poésie et la musique sur l'intrigue et les personnages. Créé pour le divertissement royal de Charles II, John Dryden y a librement adapté et mis en vers la célèbre légende du roi Arthur. La partition de Purcell n'ayant jamais été publiée à l'époque, chaque production doit effectuer des recherches et opérer des choix, conservant la dimension inséparable entre le texte et la musique, notamment avec tous les personnages secondaires chantés (créatures surnaturelles, magiques, prêtres, guerriers et paysans).
Cette pièce ornée de scènes, de machines, de chants et de danses, alternant refrains romantiques, passacailles, scènes de batailles et moments pastoraux est avant tout un opéra de refrains, alternant l'homophonie (rythmes simultanés), le contrepoint (voix dialoguant) et la fugue (voix se suivant). Le chœur joue un rôle fondamental et rappelle le Coryphée de la tragédie grecque. La musique intervient de façon fragmentaire dans la pièce en cinq actes et se compose d'une ouverture et de sept tableaux, dont deux masques. Dans cette production, le Directeur musical Leonardo Garcia Alarcón a même incorporé 17 morceaux de « musique théâtrale » provenant d'autres compositions de Purcell, ce qui permet aux transitions de scènes parlées et chantées de se dérouler sans encombre.
Le chef argentin et le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo (né à Buenos Aires) réalisent un merveilleux voyage théâtral et musical mélangeant la musique baroque de Purcell avec un monde de conte de fées bizarre et moderne, poussant le public hors de sa zone de confort tout en respectant et en donnant des références au passé. La scène offre toujours quelque chose d'intéressant, d'intrigant et d'inspirant, sur les plans visuels, des costumes, de l'éclairage, des perruques et du maquillage, composant une comédie musicale arthurienne hors du temps.
Toujours en parfaite coordination entre la fosse d'orchestre et la scène, qu'il s'agisse des solistes, des chœurs et des ensembles, la direction musicale du Maestro Alarcón avec les superbes musiciens de la Cappella Mediterranea est attentive : l'orchestre ne couvre jamais les chanteurs, leur permettant de faire entendre leur diction sans effort. Le chef semble connaître non seulement la musique mais aussi le texte, dirigeant souvent de tête et parlant le texte avec les interprètes. Les solistes ainsi que les membres du Chœur laissent entendre de vraies voix d'opéra, loin du chant malingre et droit trop souvent infligé à la musique baroque.
Chaque interprète-acteur de la distribution, même pour la plus petite des participations, offre une qualité et une attention particulières (citons ainsi Thomas Scimeca en Osmond, Laure Aubert en Emmeline, Cédric Leproust en Merlin et Simon Guélat, le Roi Arthur). Des prestations d'excellence qui résonnent sur le son plein de vitalité et de précision offert par le Chœur du Grand Théâtre de Genève (préparation Alan Woodbridge).
Grigory Shkarupa impressionne dans son très attendu "Air du Froid", mais aussi dans les duos chantés (incarnant Éole et Il), sa voix sonnant librement dans le théâtre avec une riche résonance ronde. Cupidon, Vénus et Elle sont tenus par une Bernarda Bobro enchantée avec sa belle voix de soprano lyrique. La scène entre Cupidon et le Génie du Froid est ainsi l'un des moments forts de la soirée, les deux voix sonnant librement. Idem pour son aria de Venus, "Fairest Isle", vocalement, musicalement et interprétativement impressionnante. La voix de ténor d'Anders J. Dahlin en tant que Prêtresse est particulièrement intrigante, pour sa part.
Habillé comme un démon féminin
portant un costume mélangeant gothique et féerique avec des
bottes à talons ressemblant à des sabots de cheval, il dispose d'une de ces
voix de haut ténor qui a fait florès durant la période
baroque française comme "haute-contre". Une voix impressionnante, fascinante dans la qualité et la couleur. Keri Fuge interprétant l'Honneur, habillé comme la reine d'Angleterre, offre une
interprétation poignante de "Saint George The Patron Of Our Isle". Sa voix de soprano légère se projette facilement avec des tons chatoyants d'or et d'argent.
L'ensemble final "Our Natives Not Alone Appear" est présenté en trois groupes séparés, l'un sur scène et deux autres en stéréophonie dans la salle, à gauche et à droite du
public. Ce moment vibre par un grand effet acoustique et émotionnel, ressemblant à un hymne britannique sacré marquant l'unification des
îles britanniques et son identité. À l'image de cette soirée.