Le délire amoureux Haendel-Alarcón-Mkhitaryan à Radio France
L'Orchestre Philharmonique de Radio France élargit son répertoire, remontant au début du XIXe siècle, et même du XVIIIe en invitant des chefs ad hoc pour le guider dans ces nouveaux styles (avec ici un concert 100% Haendel). C'est même un véritable capitaine (ad hoc) qu'il convie en la personne de Leonardo García Alarcón, référence actuelle absolue et mondiale pour la musique dont il prouve qu'elle ne mérite nullement le qualificatif d'"ancienne", d'autant qu'il célèbre les noces harmonieuses des instruments modernes en résidence dans la maison ronde, avec un théorbe et deux clavecins (comme emboîtés). Ô combien, au contraire, mérite son nom la cantate Il delirio amoroso composée et créée en 1707 à Rome, chez le cardinal Benedetto Pamphili (qui en écrivit lui-même le texte, comme celui de l'oratorio Le Triomphe du Temps et de la Désillusion) ! L'œuvre composée durant la période italienne, capitale pour la formation du maître allemand, tire pleinement partie du texte exubérant, sublimé ici par les solos instrumentaux, l'énergie bouillonnante du chef (qui bondit littéralement du clavecin) et la soprano Kristina Mkhitaryan, au sommet de son art, de son investissement, de ses harmoniques aiguës trouvées grâce à son sourire vocal (habituée des plus grandes salles, mais aussi des projets avec Alarcón, nous avons déjà eu l'occasion de vous conseiller de l'ajouter à vos favoris).
Dans son désespoir, le personnage de cette cantate prend le rôle de Chloris, ayant perdu Thyrsis, accompagnant son amour jusqu'aux enfers de l'Hadès et aux Champs-Élysées. Ce périple légendaire est infiniment mieux représenté par les purs mouvements, élans, retenues de sa voix que par des mouvements scéniques qui hésitent entre la version concert et l'esquisse de mise en espace. Surtout, cette odyssée funéraire à l'unisson du drame et de la musique permet à la chanteuse de parcourir des rythmes dansés (notamment la légère pastourelle portée par une souple flûte et des cordes en pizzicati), un Lamento rappelant Ariane et la Nymphe de Monteverdi, une forme de Canción de la luna en duo avec le théorbe et elle va même jusqu'à lâcher la bride à ses aigus, le léger manque de contrôle offrant toutefois la preuve d'une belle confiance.
Une telle émotion se célèbre avec le champagne des trois suites de Water Music, composées pour le Roi George Ier d’Angleterre et créées sur la Tamise le 17 juillet 1717 (50 musiciens entassés sur des barges soulevant l'enthousiasme du monarque et de "quiconque qui était quiconque" à Londres, comme l'écrivaient les journaux de l'époque). Alarcón opère deux choix étonnants pour l'exécution de cet opus : il les fait interpréter dans un autre ordre (1-3-2 au point même de perturber un spectateur qui crie, bien seul, bravi avant la fin du concert) et le chef se met en prélude à l'orgue pour une improvisation échevelée (rappelant qu'il est le digne héritier du statut de maestro al cembalo comme il nous l'expliquait en interview). Le reste n'est que jets d'eaux apparaissant et tournoyant comme le son du traverso traversant la scène depuis les coulisses, puis du flûtiste à bec sortant son instrument de sa manche.
Water Music par les English Baroque Soloists de John Eliot Gardiner :
Ce concert sera diffusé le 1er juin 2018 à 20h sur France Musique