Monteverdi en fusion à Reims
Dès les premiers sons d'orchestre des Paladins, une belle résonance des instruments baroques établit l'ambiance de la soirée. Pendant ce premier morceau instrumental, un photographe se balade parmi le public en prenant des clichés. Sur scène : sept miroirs en suspension avec quelques vêtements sur des portants et un grand tapis rectangle rouge. Les interprètes sont assis devant ces miroirs et répètent obsessionnellement des gestes futiles.
Hadhoum Tunc et Armelle Marq, sopranos, entrent en solo et duo pour déployer ce mélange entre sonorités d'autrefois et visuels de nos jours. Les deux voix sont légères mais efficaces, claires et justes. Malheureusement, elles sont très souvent au bout du tapis rouge et de fait désavantagées quant au volume par rapport aux autres chanteurs.
Une annonce faite avant le spectacle informe que la soprano prévue pour les rôles de Venus et Clorinda étant dans l'incapacité d'assumer la prestation, deux remplaçantes lui ont été trouvées : la mezzo-soprano Séraphine Cotrez pour chanter les rôles dans la fosse d'orchestre et Jade Collet pour mimer le personnage sur scène. La voix de Séraphine Cotrez semble assez large, lyrique, non seulement en volume mais aussi en palette de couleurs et de dynamiques convoquées. Une vraie richesse dans les mediums et graves donne une identité à ses rôles de femmes passionnées. La chanteuse assume ainsi magistralement cette prestation par une voix pleine de promesses (il se peut, certes, qu'elle ait acquis davantage de présence sonore dans la salle en chantant son rôle depuis la fosse).
La voix de Geoffroy Buffière sonne très bien dans la musique de Monteverdi, qui demande très souvent à ses basses le registre grave vers les fins des phrases. La plus belle partie de sa voix est toutefois son medium, davantage encore coloré, présent et nuancé (mais son aigu rayonne également dans la salle). De surcroît, il semble être un grand homme de scène avec une présence très naturelle. Le rôle de Pluton est écrit pour voix de basse mais dans la plupart des prestations du Combat de Tancrède et Clorinde (Il combattimento di Tancredi e Clorinda) de Claudio Monteverdi, le rôle de Tancredi est chanté par des ténors. Dans cette version « Fusion » le rôle de Tancredi est ainsi chanté par une basse et cela change beaucoup le timbre ainsi que le pathos du rôle, que M. Buffière rend toutefois convainquant.
Le ténor Léo Muscat a la partie la plus difficile dans Le Combat, non pas pour des raisons de performance ou d'étendue vocale, mais en ce que le rôle de narrateur ou de conteur doit donner toutes les couleurs nécessaires pour exprimer les émotions et toucher le public. Comme la plupart des ténors qui chantent Monteverdi, sa voix est légère, jusqu'au chuchotement et bien qu'elle déploie des accents tragiques quand cela est nécessaire, elle est parfois couverte par l'orchestre.
Le concept scénique de Dan Jemmett est original, moderne, intéressant, riche en mouvement et couleurs. La scène de « combat » entre Tancredi et Clorinda s'opère en ralenti, les deux personnages habillés en militaires modernes, gantés et bottés. Les ingrates sont pour leur part vêtues en robe de scène des vedettes des années 1960-70 avec des mouvements chorégraphiés et synchronisés comme des séances photographiques. Le tout aboutit à une scène finale presque vide, uniquement habitée par les voix off a cappella.
La direction musicale assurée par Jérôme Correas propose une vision musicalement traditionnelle bien que fusionnelle, moderne et innovante. Le chef maîtrise sa communication, contrôle les tempi et les équilibres entre la fosse et la scène. Les duos et quelques ensembles vocaux a cappella sont aussi justes qu'impeccablement ensembles. M. Correas aime et maîtrise ce style musical, c'est une évidence, à l'image de cette belle soirée !