À l’Arsenal de Metz, viva Vivica !
Cinq airs sont proposés au public privilégié de la Grande Salle de l’Arsenal, alternant avec des concertos, ouvertures ou extraits de symphonies de Corelli, Vivaldi, Scarlatti et Haendel.
L’Ensemble Concerto de’ Cavalieri introduit la soirée par un Concerto grosso de Corelli pour lequel les cordes déploient d’emblée une intensité musicale et une technicité impressionnantes. La félicité de la ligne mélodique est transcrite par l’interprétation elle-même mais également par le jeu corporel des musiciens. Les violoncelles couleur de miel, posés entre les genoux sans pique dans le respect de la tradition baroque, voient leurs instrumentistes faire littéralement corps avec eux, les violons embarquent leurs interprètes dans une danse, les jambes avancent et reculent selon le rythme, les bras s’arc-boutent, les visages se penchent sur le bois.
En prélude au premier air, l’ouverture de Rinaldo est exécutée avec la même maestria, sous la houlette de Marcello Di Lisa, archets souples et legatos adroits, avant de voir s’avancer sur scène, sous un tonnerre d’applaudissements, la mezzo-soprano Vivica Genaux. Radieuse en robe pastel et moirée, en appui sur de hauts talons, elle vient prendre possession de la scène en imprimant à sa démarche une rythmique tonique. Cette tonicité et cette énergie se ressentent tout au long du récital, dans la voix comme dans le jeu de scène.
En osmose avec l’ensemble, tournant le dos au public, elle se retourne ensuite pour entamer « Cara Sposa ». Les vibratos sont immédiats sur chaque syllabe, les r roulent, les graves sont habillés de velours, et les passages du grave à l’aigu, de l’aigu au grave semblent exécutés en un seul souffle. La gestuelle des musiciens participe de l’effet de maîtrise vocale et donne encore plus de relief à l’air.
Pour l’air suivant, « Son qual nave », extrait d’Artaserse, composé par Riccardo Broschi, frère de l’illustre Carlo, autrement dit Farinelli, le public a encore une fois l’impression qu’elle s’imprègne de l’air avant de l’interpréter. Son jeu de scène est extraordinaire, l’expression du visage suit les paroles, le « navire » tangue par les mouvements de corps de la mezzo-soprano, puis se repose, apaisé. Les mélismes, sur cet air en particulier, sont constants et renforcés par les staccatos des cordes.
Changement de robe et changement de ton après l’entracte, avec la « Salve Regina » de Pergolèse qui entraîne Vivica Genaux vers davantage de solennité et de gravité en conservant toujours la même technicité remarquable, dans des aigus maintenus longuement, soutenus par les cordes qui prennent une coloration de cuivres.
« Lascia ch’io pianga », l’autre air extrait de Rinaldo proposé, maintient la mezzo-soprano dans la solennité et l’émotion qui siéent à la beauté du texte, vibratos toujours présents et émouvants, mélismes posés sur des mots-clés, « duolo » ou « pietà ».
Pour le dernier air, deuxième air de Broschi, tiré d’Idaspe, « Qual guerriero in campo armato », elle repasse, avec toujours autant de facilité, des aigus aux graves et met à nouveau son expressivité au service du mot, « tel un guerrier sur un champ de bataille ». L’agilité des trilles témoigne à nouveau de la maîtrise technique de Vivica Genaux.
Un seul rappel extrait de La Griselda de Vivaldi clôt la représentation, l’air « Agitata da due venti », offert au public avec le même déploiement de trésors vocaux avant une longue ovation ponctuée de bravi pour Vivica Genaux, radieuse, qui applaudit avec grâce et humilité ses indispensables compagnons de récital.