Les Brigands à Monte-Carlo : un succès pas volé !
Il y a quelques mois, Leo Muscato créait un scandale international en transformant la fin de Carmen, répondant en cela aux exigences du Directeur de l’Opéra de Florence, qui ne souhaitait pas voir le public applaudir le meurtre de la Bohémienne. Sa mise en scène des Brigands (I Masnadieri) de Verdi créée à l’Opéra de Parme et reprise en ce moment à Monte-Carlo est au contraire des plus classiques, ce qui permet au spectateur de découvrir cette œuvre méconnue dans une lecture fidèle à l’œuvre. Invitant sur scène des femmes ensanglantées au moment du pillage de Prague, il prend le parti judicieux d’explorer la férocité de l’anti-héros qu’est Carlo, voleur sanguinaire malgré ses bons sentiments. Le plateau est constitué d’un parquet penché s’écroulant à l’avant-scène (des lampes se cachant dans les débris afin de créer des jeux d’ombres en contre-plongée durant la folie de Francesco), qu’habillent des trappes, des arbres descendus des cintres, ou des accessoires apportés à vue. Les éclairages d’Alessandro Verazzi, très travaillés, sont chargés de créer les différents univers : dans la scène du cimetière par exemple, des lumières vertes et de la fumée passent par les fentes du parquet, produisant une ambiance austère, proche du fantastique.
Certes, le livret d’Andrea Maffei n’est pas le plus abouti que Verdi ait eu à travailler, mais sa partition n’en mériterait pas moins d’être jouée plus souvent. D’une redoutable difficulté pour les interprètes, les airs et les ensembles sont très élaborés et leurs mélodies restent dans les têtes bien après la représentation.
Ramon Vargas interprète Carlo, convaincant chef de guerre : le ténor a dans sa partition de nombreux airs de bravoure parcourant son ambitus en tous sens, et un premier acte démentiel. Il s’y attelle avec vaillance, d’une voix presque surdimensionnée pour la salle, et surtout peu nuancée. La note finale de son premier air est longuement tenue et modulée, tant en volume (avec un crescendo-decrescendo) qu’en couleur (sombre puis lumineuse) avant d’être stoppée nette. Afin de rendre apparentes les fêlures de son personnage par sa technique vocale, il déchire (volontairement) certains sons. Mais peu à peu, la voix se tend sous l’effet de la fatigue, et le vibrato se creuse alors.
Nicola Alaimo campe un colossal (dans tous les sens du terme) Francesco, défiguré et boiteux. Effrayant en parricide sans scrupule, prêt à violer sa cousine, il est tout simplement stupéfiant lorsque la folie s’empare de son personnage. Sa voix profonde et large au magnifique timbre sombre fait sensation. Roberta Mantegna, dans le rôle d’Amalia (qu'elle a déjà chanté à Rome en janvier), est l’une des révélations de la soirée. Ses trilles légers et nuancés, et ses vocalises extatiques, sont émis d’une voix souple et pulpeuse, parfois légèrement métallique, au vibrato léger et régulier. Seule la note finale de son air du deuxième acte est mal maîtrisée : difficilement atteinte, elle n’est que peu tenue.
Alexeï Tikhomirov apporte à Massimiliano son soin de la diction italienne et sa voix de basse tonitruante et ténébreuse, à l’immense résonance. Son vibrato est fin et extrêmement rapide. Il parvient à laisser filtrer de beaux rayons de lumière dans son timbre, pour montrer la bonté de son personnage, qui a pourtant engendré un brigand sanguinaire et un meurtrier fourbe et cynique. Arminio emprunte la voix bien audible et structurée de Reinaldo Macias, dont le timbre haut placé est très différent de celui de Vargas, ce qui s'avère précieux dans les ensembles. Dans le rôle de Moser, écrit pour une basse, le baryton-basse Mikhaïl Timoshenko, dont c’est la première escapade en dehors de Paris depuis sa sortie de l’Académie, voit ses graves extrêmes trop sollicités pour exister pleinement face à Alaimo, qu’il est sensé terrasser. Pourtant, le timbre clair et pur et la longueur du souffle sont là pour rappeler qu’il est l’un des jeunes espoirs sur sa tessiture, pour peu qu’il soit distribué dans des rôles plus adaptés à sa voix. Christophe Berry chante le court rôle de Rolla d’une voix franche et claire.
L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo est dirigé sur un tempo allant par Daniele Callegari, qui soigne les timbres, les équilibres et la puissance de la musique verdienne par la vigueur et la tendresse de sa battue. Le son chaud et charnu du violoncelle solo enchante l’ouverture de sa musicalité intense, vibrante, poignante. Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo est puissant et globalement bien en place, homogène dans les timbres. Il offre une performance théâtrale très convaincante, pour une soirée qui l'est tout autant.