Les Noces de Figaro à Liège : la sage Susanne de Sagi
Cette production ne se veut pas "innovante", mais elle rencontre l’œuvre directe. Mettre en scène Les Noces de Figaro demande une virtuosité et un tempo de direction scénique, qui sont ici à l'œuvre. Les très "jolis" décors sont articulés autour d’un espace central qui figurera divers lieux (chambre de Figaro et Susanna, salon, jardin). Ils évoquent avec grâce Séville (les carrelages typiques mêlant les influences islamique et italienne, jardin pouvant être l’Alcazar) et les costumes inspirés de l’imagerie du temps (Goya) sont également en phase avec l'ensemble.
L’Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège suit le tempo avec certes une moindre énergie transversale, mais en rendant entièrement la partition, sous la direction de Christophe Rousset qui accompagne en outre les récitatifs au piano forte, instrument à cordes frappées (dont les évolutions mèneront au piano) qu'employait Mozart, mais auquel les chefs de chant à l'opéra préféraient le clavecin (clavier à cordes pincées). Les Chœurs (figure du peuple) peu nombreux sont bien exécutés et les chanteurs participent efficacement à la mise en scène. Un joli épisode dansé intervient même, durant lequel des castagnettes viennent souligner la rythmique de la musique, le tout très joliment exécuté.
Les chanteurs / acteurs assument globalement avec entrain le rythme endiablé nécessaire au propos et à la juste incarnation de chacun des personnages. L'efficacité vocale est cependant davantage contrastée. Dans les petits rôles, Patrick Delcour (Antonio), Stefano de Rosa (Don Curzio, le juge) et Julie Mossay (Barberina) sont parfaits dans la drôlerie et l’émotion. Enrico Casari, ténor de caractère, propose un Don Basilio courtisan jusqu’à la moelle (ce qui fait alors regretter le choix de supprimer son air, prévu par Mozart). Julien Véronèse campe un très bon Dottore Bartolo, ridicule, bravache et finalement émouvant.
Alexise Yerna possède une jolie voix fruitée qui, parfois couverte, ne lui permet pas d’incarner de manière aussi convaincante que désirée sa Marcellina, amoureuse ridicule puis mère protectrice (elle s'est d'ailleurs également vue coupé l’air prévu par Mozart). Comme actrice, Raffaella Milanesi interprète parfaitement un Cherubino adolescent troublé et pataud, mais touchant aussi. Sa belle voix de soprano est hélas un peu faible dans le medium et le grave (elle y est couverte par l'orchestre et notamment dans les ensembles, fondamentaux pour la théâtralité de cette pièce).
Judith Van Wanroij en Comtesse Almaviva a plutôt une belle voix de soprano, chantant les airs presque triple-piano tout du long, avec de belles manières. L’articulation de cette nuance avec les autres dynamiques est par contre un peu abrupte et son jeu ne rend pas compte de la classe qui caractérise la Contessa, sa blessure profonde, son amour encore intact pour le Comte, son humiliation de devoir solliciter l’aide de sa servante. De plus, elle est également couverte dans les grands ensembles conclusifs, qui sont tous de grands morceaux de bravoure musicale.
Mario Cassi incarne le Comte comme comédien, un peu moins comme chanteur. Les parties en solo (les récitatifs, les duos et l’air) sont de qualité, mais il est lui aussi couvert dans les ensembles, ce qui nuit à la stature et à l’autorité auto-affirmée du Comte et amenuise du coup la portée du propos général.
Leon Kosavic joue avec brio un joli Figaro, à la fois malin, pataud et touchant. La voix est très belle et sonore (une parfaite adéquation entre l’œil et l’oreille pour le coup) ! Figaro est avec Susanna le garant du tempo général et M. Kosavic l'assume parfaitement.
La Susanna de Jodie Devos (qui nous parlait de cette prise de rôle dans son interview) est la belle satisfaction de la soirée. Très jolie voix, sonore, projetée, elle irradie de son timbre les ensembles, donne à voir et à entendre une Susanna, juvénile, mais qui « connaît » les hommes et qui sait comment y faire, tout en étant absolument touchante dans l’amour manifesté à Figaro. Elle aussi sait imprimer le tempo que le metteur en scène a prévu et que Mozart avait si merveilleusement inscrit dans la musique même. Les Nozze sont véritablement du théâtre musical, au point que Wagner lui-même disait qu’on ne peut rien écrire de mieux en l’espèce que le finale du deuxième acte. Mozart opère toujours avec puissance et transmet sa belle vision de l’humanité.
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