Coup de chœur à Radio France !
Plus de 90 choristes en scène, neuf compositeurs, quatre chefs de chœur (Sofi Jeannin, Nicolas Fink, Alberto Malazzi, Lionel Sow), une quinzaine de morceaux, deux retransmissions en direct (sur France Musique et sur Arte Concert), ainsi qu’une commande à un compositeur contemporain, pour une première mondiale. Il n’en fallait pas moins pour honorer le seul Chœur permanent à vocation symphonique en France, et l’un des plus prestigieux.
Très éclectique, le programme proposé est destiné à déployer la large palette technique et artistique du Chœur, au grand complet et chantant en quatre langues (latin, italien, allemand, français) tout du long a cappella ou accompagné d’un simple piano. Opéra ou oratorio, mélodique ou harmonique, classique ou contemporain (et bientôt jazz), musique sacrée ou lyrique, le Chœur de Radio France a l’expérience et le goût des répertoires variés.
Pour ouvrir cette grande soirée anniversaire, Philippe Hersant crée une partition ad hoc, à la demande de Sofi Jeannin qui dirige l’ensemble. Le compositeur propose un psaume de jubilation à l’« allégresse carillonnante », Viderunt Omnes : véritable dentelle gothique, avec des canons très réussis et des répétitions entêtantes, ou planantes par moments, produisant des flux et reflux ainsi que de très beaux effets de spatialisation lorsque les groupes dialoguent, alternant polyphonie et monodie grégorienne, tenues et figures plus rythmiques. Très influencé par la musique ancienne, Philippe Hersant glisse même quelques références à Pérotin, l’un des grands compositeurs du Moyen Âge. Une fresque haute en couleurs pour un compositeur qui n’avait jamais travaillé avec une masse chorale si importante.
La monumentale arène en bois de l’Auditorium, inauguré en 2014, possède une acoustique exceptionnelle : elle met en relief la variation des timbres et permet d’entendre presque distinctement chaque choriste, de saisir les nuances entre une voix lyrique, une voix fine, une voix charnue ou musclée. Reste que cette caisse de résonance géante n’est pas idéale pour les éclats de voix ou les fortissimo, car les décibels s’emballent et peuvent heurter certains tympans sensibles. Mais surtout, cet écrin de technologie n’est pas une abbaye cistercienne : il a une réverbération courte, et peut-être un peu sèche pour les compositions à caractère sacré ou religieux qui exigent une acoustique plus ample et plus chaude. Laquelle rendrait plus émouvante encore la verticalité transcendante de l’écriture chorale de Philippe Hersant, ou la polyphonie chatoyante de Francis Poulenc, inspirée des grands maîtres de la Renaissance.
En effectif réduit de moitié, les compostions italiennes qui suivent sont pleines de charme. Les « Péchés de vieillesse » de Rossini offrent un badinage amoureux dans une atmosphère vénitienne, sur le rythme doux et élégant de la barcarolle. Quant au madrigal de Luigi Dallapiccola (« Due Cori di Michelangelo Buonarroti il Giovane »), il suit rigoureusement le vers en jouant de séduisants entrelacements de voix : sopranos cristallins, trilles angéliques qui s’écoulent sur les notes piquées des mezzos ponctuant le morceau et créant de forts contrastes rythmiques.
Toujours en effectif réduit, le Chœur entonne ensuite cinq chants de Brahms (Fünf Gesange opus 104). Les belles modulations entre les piano et les forte, les attaques nettes et le souffle long transportent l’auditeur sur « Veillée I et II ». Dans « Dernier bonheur » et « Jeunesse perdue », ce sont les thèmes de la vieillesse, de la nostalgie, de la nature nocturne, de la forêt et du bruissement des feuilles qui sont déclinés, mais la direction musicale alors très enlevée, le tempo très vif limitent les voix dans leur legato, nécessaire pour laisser affleurer l’émotion. Le cinquième chant, « En automne », est bien plus fluide et plus doux.
La seconde partie du concert, intégralement interprété en tutti, est consacrée à la musique française. Les chanteurs sont très à l’aise avec ce répertoire, il en est de même pour Lionel Sow qui dirige avec maestria cette partie du programme. Tiré du Faust de Charles Gounod, le « Chœur de la kermesse » met en valeur les différentes couleurs vocales de l’ensemble : ainsi se succèdent divers couplets portant des groupes de personnages (Bourgeois, Jeunes Filles, Jeunes Étudiants, Matrones) ayant chacun une tessiture différente (soprano, alto, ténor, baryton). Mention spéciale aux basses incarnant les Soldats dont l’expressivité virile, un brin espiègle, et l’articulation accentuée -notamment avec les « r » roulés- rendent tout le pittoresque de la scène de village.
L'un des mérites du Chœur est sa diction impeccable et ciselée : en particulier sur le poème d’Apollinaire mis en musique par Francis Poulenc et sur les célèbres Djinns de Victor Hugo réinterprétés par Fauré. Sur cet opus 12, avec plus de 90 choristes en scène, on pourrait craindre que le crescendo tonique, exprimant la rumeur montante qui s’empare des esprits, ne verse dans la confusion. Il n’en est rien : le morceau est servi avec de très belles nuances : murmuré (mezza voce) ou projeté, profond ou strident, les voix font trembler les auditeurs avant de se perdre dans le lointain, decrescendo.
D’une grande agilité rythmique est également la « Ronde » de Ravel, extraite de Trois Chansons. Fantasque et onirique, le texte est bien mis en relief, soutenu par un timbre chaud et homogène, d’une grande puissance. Beaucoup de fraîcheur aussi, rendue grâce aux sopranos presque éthérées, comme en lévitation. Plongeant le public en plein opéra de Bizet, un final grandiose clôt ce parcours : « Voici la quadrille », extrait de Carmen, plein de panache et percussif. Mais le piano, joué par l’énergique Caroline Marty, est quelque peu écrasé par l’enthousiasme festif de la formation au grand complet. La disproportion entre l’instrument seul et les Chœurs est trop grande (normalement, c’est un orchestre entier !).
Après les saluts et les applaudissements nourris, un cadeau ultime est offert au public : une cantate de Francis Poulenc, tiré de Figure Humaine, sur le fameux « J’écris ton nom » de Paul Éluard. Interprété par un Chœur au grand cœur, cet hymne à la Liberté est aussi, ce soir-là, une belle démonstration de Fraternité. Cette impressionnante assemblée de voix diverses, de personnalités marquées, ne fait plus qu’un dès qu’elle se met à chanter : de la pluralité naît l’harmonie. Joyeux anniversaire !