Débuts triomphaux pour Pablo Heras-Casado à la Philharmonie de Paris
Après la vision de l’oratorio de Mendelssohn par Raphaël Pichon la saison dernière, Elias revient à la Philharmonie de Paris. À la tête du Freiburger Barockorchester et du RIAS Kammerchor, Pablo Heras-Casado a entrepris une tournée de trois dates (Freiburg, Paris et Madrid) pour à la fois présenter le vaste oratorio de Felix Mendelssohn, Elias, tout en l’enregistrant pour une parution ultérieure chez Harmonia Mundi. Le chef espagnol, pour ses débuts à la Philharmonie de Paris, reçoit une formidable ovation de la part du public, ovation encore démultipliée pour le fabuleux RIAS Kammerchor (atteignant un niveau très rare pour un chœur, aussi prestigieux soit-il). Cet ensemble baroque, préparé par le chef Franck Markowitsch, cumule en effet toutes les qualités requises : plénitude totale des pupitres, maîtrise absolue du phrasé et du rythme, moments d’exaltations suivis de parties plus introspectives, ce sans jamais relâcher la ligne ou l’intention. Les parties piano sont exécutées avec un soin absolu. Plusieurs choristes atteignent même le niveau de qualité des solistes, lors de leurs interventions ponctuelles.
S’éloignant délibérément de certaines exécutions hypertrophiées ou par trop symphoniques, Pablo Heras-Casado renoue avec l’essentiel, laissant parler son cœur plus que son esprit. Il impose une lecture musicale qui, sans exclure une approche théâtrale ou assez dramatique, privilégie le drame plus intime d’Elias avec ses colères, ses contradictions, ses périodes de sérénité. Il s’agit bien ici d’un épisode religieux où la méditation, par l’intermédiaire du chœur notamment, prend toute sa place. La direction de Pablo Heras-Casado met pleinement en valeur le Freiburger Barockorchester en favorisant les contrastes de couleurs et la virtuosité des pupitres.
L’exécution se trouve par ailleurs transcendée par la performance du baryton allemand Matthias Goerne en magnifique forme vocale, qui interprète Elias. Dès l’introduction de la première partie "So warh der Herr, der Gott Israels, lebet", la voix s’élève et tonne majestueusement, emplissant avec facilité la grande salle de la Philharmonie, qui semble dès lors retenir son souffle. Sa prestation est investie : son air de seconde partie, peut-être le morceau le plus profond de la partition, "Es ist genug !" lui permet de nuancer son chant et de lui conférer une dimension presque prophétique, bouleversante d’intensité expressive. Le jeune ténor lyrique allemand Sebastian Kohlhepp interprète les premiers rôles mozartiens. Doté d’un timbre clair et très attractif, presque juvénile, avec une largeur bienvenue, il donne beaucoup de relief à ses interventions (Abdias, Achab) tout en restant parfaitement dans le cadre de sa définition vocale actuelle. Sophie Karthäuser, soprano, qui interprète La Veuve de Sarepta, Un Ange et L’enfant, déploie une technique vocale très particulière, ouvrant peu la bouche notamment dans les aigus qui paraissent dès lors très souvent trop appuyés ou dotés d’un vibrato gênant. Pour autant, sa force de conviction emporte l’adhésion. La voix d’alto très caractéristique, un peu courte toutefois dans les parties plus intenses, de Marianne Beate Kielland -un Ange, La Reine Jézabel- complète le plateau de solistes.