Carmina Burana souffle les bougies du Chœur de Radio France
Carmina Burana commence d'emblée et se referme sur le célébrissime tube "O fortuna", toutes voix déployées, puis psalmodié dans une couleur monacale. Le Chœur de Radio France offre comme il se doit un volume tonitruant (assourdissant même) suivi par des chuchotements envoûtants, appréciables pour le reflux du volume mais également pour l'acoustique de l'Auditorium de Radio France et d'autant plus audibles qu'est ici proposée la version dans laquelle l'orchestre est réduit à deux pianos. Le pupitre de percussions reste toutefois fourni (avec cinq timbales, cymbales, cloches tubulaires, caisses claires, grosses caisses et gong), au point d'engloutir les deux pianos à queue dans les forte, mais non pas l'imposant effectif choral.
Visiblement et audiblement très impliqué avec des voix très en-dehors pour laisser exulter cette partition enchaînant des tubes en puissance, le Chœur de Radio France manque hélas de rigueur rythmique. Cette œuvre néo-classique vise pourtant à remettre au goût du jour les plain-chants grégoriens : des mélodies monacales qui doivent être interprétées dans un parfait unisson. La phalange reprend toutefois ses marques sans difficulté, rassérénée par la direction radieuse de Sofi Jeannin. Un sourire qui se retrouve parmi les enfants de la Maitrise de Radio France, sages comme des images, attendant leur première intervention patiemment, les mains sur les genoux. Ils offrent alors un chant tout aussi appliqué et remarquable : avec ce qu'il faut de souffle dans la voix pour ce timbre enfantin, mais sans perdre l'ancrage de la note.
Le baryton Mark Pancek offre une articulation subtile et déliée. Sa prononciation raffinée de la langue latine se rapproche d'un italien vénitien, même lorsqu'il perd en ancrage dans les douces mélopées. La partition exige certes de nombreux aigus, qu'il assume après un certain temps de latence, nécessaire à trouver sa voix de tête.
Nicolae Hategan ne saurait sans doute être plus impliqué et heureux d'être là. Radieux jusque longtemps après le concert, le ténor se fait remarquer en étant le seul à chanter sans partition (jusques et y compris lorsqu'il rejoint le chœur pour le bis). Entièrement impliqué, il propose même un jeu scénique : offrant une mine ébahie (idem hélas pour sa voix) en entrant puis en quittant l'auditorium.
Enfin, troisième et dernière soliste, la soprano Karen Harnay offre des interventions discrètes, disposant avec rectitude des notes les plus aiguës exigées mais sans y déployer d'harmoniques. Douce dans le medium, elle séduit dans les transitions entre les registres, par des vocalises bien déliées.
Cette prestation est l'occasion de vérifier la fascination qu'exerce l'aura mythique de cet opus. Une aura digne de ses origines (Carl Orff ayant découvert par hasard en 1934 chez un bouquiniste l'édition d'un manuscrit médiéval, contenant des chansons et poèmes anonymes de provenances variées, en bas latin, moyen-haut allemand et franco-provençal, mêlant les chansons à boire aux thèmes à la fois religieux, satiriques, amoureux ou moraux). Un succès qui séduisit même les autorités nazies, contraintes de récupérer cette œuvre pour leur propagande, alors qu'elles avaient d'abord été rebutées par son contenu érotique et populaire. Preuve de l'efficacité redoutable que déploie cette partition, l'accueil du public (qui obtient même une troisième fois O fortuna) est enthousiaste.