Salieri défie Mozart au Théâtre Ravel de Levallois
La compagnie Opera Fuoco a vu passer dans sa troupe de jeunes artistes telles que Lea Desandre et Jennifer Courcier, ou avant elles Vannina Santoni, Clémentine Margaine et Chantal Santon-Jeffery. C’est donc avec un intérêt tout particulier que les amateurs de belles voix viennent observer la nouvelle promotion dans ce duel opposant Mozart à Salieri. Du premier, c’est le Directeur de théâtre qui est donné. Prima la musica e poi le parole illustre l’œuvre du second. Les thèmes chers à Strauss de l’opposition entre le sérieux et le comique ou entre la parole et le texte (explorés notamment dans Ariane à Naxos et Capriccio) dialoguent ici dans ces comédies enlevées.
Ned Grujic propose une mise en espace dynamique de ces deux œuvres. Pour la première, le choix d’une traduction française des dialogues (en partie assumée par les comédiens Loïc Richard et Patrick Messe) s’impose afin de laisser toute sa place au théâtre. Les airs gardent eux leur texte en allemand afin de ne pas dénaturer la musique de Mozart. Dans le second au contraire, la présence de récitatifs (avec lesquels les jeunes interprètes sont encore mal à l’aise) contraint à garder la traduction italienne tout du long. Si la tension se maintient grâce à une direction d’acteurs attentive durant la première heure et demie, elle retombe sur la fin du Salieri qui souffre, de fait, de quelques longueurs.
David Stern, qui interagit avec les chanteurs et comédiens, dirige l’Orchestre d’Opera Fuoco, placé sur scène. Chez Mozart, ils révèlent la légèreté sautillante de la partition par les coups d’archet graciles des cordes, les envolées des flûtes et le rythme des timbales, sur une structure sonore assurée avec ampleur par les cuivres. La musique est plus lourde dans le second opus mais elle y reste très vivante.
En Madame Herz, Dania El Zein offre une voix satinée au charmant vibrato. Bien que son allemand se rapproche parfois de sonorités suédoises, elle propose un jeu engagé et d’une grande fraîcheur, ainsi qu’une belle aisance dans les vocalises. Sahy Ratiananaivo dispose d’un ténor charnu aux belles harmoniques, qui hélas se perd dès que l’orchestre ou ses collègues haussent le volume, notamment dans les aigus.
Dans les deux œuvres, Olivier Gourdy expose son pouvoir comique : il est ainsi captivant durant l’ouverture du second ouvrage, lorsqu’il joue le compositeur créant ce que le public entend. Si le medium manque d’assise (surtout lorsqu’il laisse le théâtre empiéter sur la musique), les graves bénéficient de belles résonances et d’un timbre lumineux. De son côté, Theodora Raftis chante le rôle de Madame Silberklang d’une voix bien assise, presque dure. Son timbre clair se maintient dans les aigus assurés, y compris dans les parties vocalisantes. Dans celui de Tonina, elle se fait plus lyrique, assumant un débit rapide et un jeu théâtral plus débridé.
Olivier Bergeron dépense une énergie considérable dans son jeu, sautant, tombant, courant, grimpant. Sa diction est précise, chaque syllabe étant découpée et animée d’une intention propre. Sa voix mate, qui manque parfois d’ampleur, gagne en éclat au fil de la représentation, comme si elle avait besoin de se chauffer. Axelle Fanyo offre une interprétation puccinienne au rôle de la tragédienne Eleonora : sa voix large et volumineuse au vibrato rapide et fin détonne toutefois avec la légèreté de l’orchestre et des autres chanteurs. Annoncée soprano, elle dégage dans les graves une profondeur de timbre à faire pâlir une contralto. Lancée dans un jeu autoritaire proche du sketch (décrochant des rires enthousiastes du public), elle est mise à plusieurs reprises en difficulté par un souffle trop court. Ces jeunes chanteurs mériteront d'être réentendus dans d'autres œuvres : c'est d'ailleurs l'objectif que se fixe Opera Fuoco !