Les Conquistadors débarquent en musique à l'Oratoire du Louvre
Ce répertoire est composé de villancicos : genre musical fondamental pour la culture hispanique au XVIIe siècle. Ces chants sacrés en espagnol accompagnaient les plus grandes fêtes, notamment religieuses, dans la péninsule ibérique et ils furent emportés vers le Nouveau Monde. Ces chants sont ainsi un outil de conversion, voué à porter la parole de l'Évangile, empruntant des rythmes et dialectes populaires, en Espagne comme en Amérique du Sud. Les textes et les musiques sont un modèle de syncrétisme. Jésus y est né en Guinée. Les harmonies occidentales y dansent sur des rythmes chaloupés tout en conservant leurs formes, mouvements et conclusions classiques (notamment en tierces picardes : cet accord majeur et lumineux refermant une pièce en mineur, pour rappeler que la Rédemption attend toujours le chrétien au bout de la Vie, même au bout du monde). Les palabres se marient aux paraboles bibliques, comme celle narrant les tourments d'un roi amoureux (que seul Dieu peut consoler) et offrant de somptueuses lignes individuelles sur les échos d'une valse noble et sentimentale.
Bien que Noirs, nous sommes des gens, nous pouvons manger le pain parce que le Roi du ciel l'a donné au Noir comme à son maître.”
Comme ils auraient apporté la bonne parole dans une nouvelle terre avec joie et enthousiasme, les interprètes entrent immédiatement en chantant, frappant des mains et du bois de leurs instruments : "Nous sommes tous parents" proclame le texte, invitant à la conversion universelle, mêlant Saint Thomas au curuba confit, invitant l'indigène à jouer de sa guitare en tirant sur sa pipe. Acquérir ainsi l'enthousiasme permet de capter l'attention afin de la concentrer vers le message du catéchisme : dès la deuxième mélodie, le rythme ralentit pour inviter à la contemplation de la nature, donc de Dieu. Comme les tutti exultants permettaient aux interprètes de marier leurs énergies et leurs voix, ce tempo plus mesuré fait tourner les sons tout en douceur dans la haute coupole de l'Oratoire du Louvre (d'autant que ce temple n'a pas de transept : le son ne peut donc pas partir sur les côtés, il monte et tourne entièrement). L'office de conversion se poursuit, en donnant aux grands moments de l'office des couleurs et des élans enthousiastes : "Qui veut du pain ?" pour la Sainte Eucharistie.
Sud-Américains, les interprètes sont très à l'aise dans ces rythmes et phrasés latins. L'essence de cette musique repose sur un son commun, harmonieux et rythmé, mais l'auditoire devine toutefois les spécificités individuelles lors des brèves interventions solistes ou des entrées fuguées : un violon joué sur l'épaule, un autre sur le genou par une interprète qui est également violiste mais aussi chanteuse (et qui rejoint alors les solistes vocaux, égayant l'ensemble habillé en noir par sa coiffure afro rose électrique). Le chef de cet ensemble (Eduardo Egüez) tient l'une des deux petites guitares baroques, faisant corps avec les percussions, la harpe et les trois autres violes du continuo. La soprano Barbara Kusa est franche et râpeuse, Maximiliano Baños a une jolie voix fluette de contre-ténor, la processionnelle basse Andres Prunell est cléricale, le ténor Jonatan Alvarado apparaît souple et lointain.
Le concert -qui est aussi un voyage à travers l'Atlantique, les siècles et une messe- se referme par une danse « en l'honneur du très charmant enfant né de Dieu et d'une mère si belle. » Les dum dum tchak des percussions rythment le « Jésus de mon cœur. »