Divins Alarcon et Sabadus dans la Passion pour le Vendredi Saint à Versailles
Gaetano Veneziano (1665-1716) a fait sa carrière à Naples, comme le fameux Alessandro Scarlatti (1660-1725) qui a également composé une Passion (selon Saint Jean). Veneziano remporta d'ailleurs par concours le poste de Maître de la Chapelle royale à Naples, succédant ainsi à nul autre que Scarlatti. Celui-ci a ainsi durablement éclipsé le catalogue de ses proches contemporains, et ce jusqu'à nos jours. Au point que Leonardo García Alarcon n'a pas trouvé (comme à son habitude) cette pièce dans une bibliothèque, mais par un incroyable coup du destin : dans sa boite aux lettres (il en doit la redécouverte à l'envoi postal d'un liégeois en 2014) !
Alarcon s'est ainsi dévoué à la partition jusqu'en ce concert, où il paraît en symbiose avec son Millenium Orchestra et les solistes. Il se penche vers l'Évangéliste et Jésus, semble doucement leur souffler dessus pour les guider, avant de se tourner vers sa phalange instrumentale, leur récitant silencieusement les paroles des chanteurs pour les inspirer. Les doux élans savent aussi devenir terribles, comme il sied pour les fameux turbae (impressionnantes interventions du chœur qui illustre les clameurs de foule) et, bien entendu pour une Passion (retraçant donc le calvaire du Christ), ces terribles staccati qui illustrent la flagellation de Jésus par celle des archets sur les cordes.
La passion d'Alarcon a trouvé en Valer Sabadus un digne interprète en matière d'investissement. Du tout début à la toute fin de l'œuvre, le contre-ténor est incessamment sollicité par de très longues interventions. Il les défend avec une infinie mesure dans les ornements, sachant rendre honneur à la merveilleuse particularité de ce morceau : l'enchaînement naturel des airs et des récits dans un propos éloquent. Pour ce faire une idée de son implication et de combien la représentation lui tient à cœur, il suffirait de relater ce moment où il commet une petite erreur dans sa partie : alors que le public ne s'en serait pas même rendu compte (a fortiori dans cette partition inconnue), l'artiste ne peut s'empêcher de frapper du pied et de pester contre sa propre bévue.
Jésus est l'autre personnage à l'avant-scène, interprété par Francisco Mañalich. Le ténor incarne remarquablement le caractère par une douce noblesse de port maintenu tout le long de l'opus, mais la voix se dérobe à sa volonté. Le chant est serré sur tout le registre, la voix malaisée. Paradoxalement, c'est à mesure qu'il approche de la croix que ce Christ gagne quelque peu en aisance, mais surtout dans le grave. Alors qu'il perd bientôt cet ancrage, l'auditeur se demande en fait si l'interprète est vraiment ténor, voire même s'il ne serait pas meilleur violiste lorsqu'on découvre des vidéos où il associe les pratiques :
Philippe Favette, enfin, campe un Pilate bien placé, sévère et dont la voix de basse pourrait être bien plus présente s'il n'était pas contraint de rester au fond, avec le chœur. Cependant, appliquant le principe biblique, "Les derniers seront les premiers", les choristes deviennent les héros du second morceau au programme : le Stabat Mater d'Antonio Nola (1642-1715), déjà inscrit dans le XVIIIe siècle et ses homorythmies. Ce Chœur de Chambre de Namur brille de douceur, et rythmes souples avec une grande science des équilibres sonores, des nuances, des transitions de plans entre les mezzo piano et les mezzo forte, mais bien davantage encore entre le son contenu et celui déployé. L'ensemble de ces chanteurs est même invité à venir se mettre devant tous les instrumentistes, littéralement au pied du public pour interpréter en bis mémorable "Quando corpus morietur" (À l'heure où mon corps va mourir, À mon âme, fais obtenir La gloire du paradis).
Leonardo García Alarcon avait invité le public à conserver le silence entre les morceaux, il en obtint également un immense à la fin du concert, bien plus sonore encore que les acclamations méritées.