Le Tremblement de Terre à Versailles : une leçon de ténèbres
La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent, et les corps de plusieurs saints qui étaient décédés ressuscitèrent.” Évangile selon Saint Matthieu 27:51-52
Offrant une poignante illustration musicale de la mort du Christ et du séisme qu'elle provoqua, Le Tremblement de Terre d'Antonio Draghi appartient à une tradition musicale dramatique et religieuse bouleversante marquant la seconde moitié du XVIIe siècle : le sepolcro, un oratorio (aussi nommé rappresentazione ou azione sacra) sur le thème de la Passion (interprété le Mardi et le Vendredi saints à la chapelle impériale : celui de Darghi fut créé pendant la Semaine Sainte de 1682, "dans la très auguste chapelle de sa majesté l'impératrice Éléonore", épouse de Léopold Ier du Saint-Empire). Véritables spectacles de la Foi, ces Passions étaient mises en espace avec des chanteurs interprétant les personnages bibliques dans un décor.
Ce Tremblement de Terre de Draghi (représenté au dernier Festival d’Ambronay) est ici ressuscité dans le cadre on ne peut plus seyant de la Chapelle Royale de Versailles (sur quelques tréteaux). D'autant qu'il est investi par des acteurs impliqués, avec de belles et simples étoles pour costumes (cousus par Julia Brochier), mis en espace par Benjamin Lazar (qui s'est formé à la déclamation et à la gestuelle baroques), le tout éclairé à la bougie !
Le climat est installé d'emblée, en prologue, grâce à la prestation très incarnée d'Alexandra Rübner qui récite, rythme et anime la traduction française (françoise même : prononcée comme du vieux français). L'auditoire saisira d'autant mieux les ressorts du texte en italien (somme toute assez évidents), d'autant que la Chapelle Royale a installé (fait rarissime) un appareillage de sur-titrages.
Léa Trommenschlager (à retrouver dans deux autres opus mis en scène : in loco avec Phaéton, au Comique pour du Stockhausen) incarne une Vierge Marie noble et attendrissante. Maîtresse de ses moyens assurément généreux, elle les distille avec mesure. Claire Lefilliâtre est la pécheresse rédemptée Marie Madeleine, d'une voix tubée et assourdie mais intensément soutenue et vibrée.
Zachary Wilder brille des mille feux de Saint Jean (son personnage). Bien que le tiers de ses phrases consistent en des r roulés, il offre une prestation merveilleuse, rendant un naturel chantant à son articulation méticuleuse. Proclamant éloquemment le message divin, sa voix placée sur tout le registre traverse le public sans avoir besoin d'être sonore.
Riccardo Angelo Strano à la voix timide mais très sculptée offre un parfait diablotin se moquant du calvaire du Christ, ajoutant du vinaigre et du venin sur ses plaies pour mieux se convertir après le tremblement de Terre. Son acolyte, chanté par le baryton Emmanuel Vistorky lui offre un duo des contraires. Victor Sicard surjoue son rôle de Centurion mais pas sa voix de commandement.
Enfin les deux derniers personnages apparaissent comme suspendus dans les airs sur la tribune d'orgue, parfait pour incarner ces deux allégories : Lume di Fede (Lumière de la Foi par Anna Zawisza) et Lume de Scienza (Lumière de la Science, Helena Poczykowska).
Rehaussant le climat propre au recueillement et à l'introspection de l'œuvre et du lieu, l'ensemble des instrumentistes, mais également du chœur et même du chef reste assis, au pied de l'autel. Le Poème Harmonique, dirigé par Vincent Dumestre, a la qualité d'un orchestre de chambre mais celle-ci est portée par un volume bien sonore. Les cordes notamment ont su trouver les fréquences de résonance de la coupole. Les lignes entremêlées en mouvements fugués et contrepoints tournent à leur aise dans l'acoustique équilibrée de la Chapelle royale du Château de Versailles. Les huit choristes proposent des qualités de solistes par leurs timbres et l'identité vocale qu'il savent affirmer et marier à l'ensemble (l'écriture de Draghi, décidément exceptionnelle, leur offre une polyphonie de lignes, chacune très belle).
Les personnages s'unissent alors dans la terreur du tremblement de Terre. Ils viennent tour à tour prêcher la bonne parole et faire à l'assistance une leçon de catéchisme appelant à la crainte et à la repentance, le tout ponctué du funèbre glas des chœurs. Le tutti terrifiant s'avance vers le public et lui rappelle que le tremblement de terre divin le menace dans sa chair : « Homme, tremble encor, toi qui de terre es fait. »
La leçon est si puissante, l'accueil à ce point enthousiaste, que les artistes offrent même de nouveau la fin en bis ! Rarissime (et précieux) pour un sacré oratorio.