Requiem de Mozart à Vichy : le temps s'arrête !
Quel meilleur décor qu'un lieu saint pour faire résonner haut et fort les notes de ce Requiem Mozart, chef-d'œuvre absolu de la musique sacrée. En 1791, Mozart, alors âgé de 35 ans, reçoit d'un mystérieux et anonyme messager la commande d'une messe pour les morts. Un commanditaire dont l'identité fera l'objet de nombreux fantasmes, comme celui de voir derrière son masque la figure du trop méconnu Antonio Salieri, qui aurait lui-même commandé une messe des morts à son "rival" pour mieux l'empoisonner par la suite (scénario auquel le film Amadeus doit beaucoup de son succès). Mais l'histoire "officielle" a retenu une autre version : la commande de ce Requiem émanerait d'un aristocrate autrichien, le Comte von Walsegg, qui avait pour habitude de s'attribuer la composition d'œuvres écrites par d'autres que lui. Mozart accepte en échange d'une importante rétribution, mais il n'en terminera jamais l'écriture, la mort l'emportant à la huitième mesure de son Lacrimosa, au cœur de la Sequentia (partie centrale de l'œuvre).
Est-ce à dire que ce Requiem ne porte qu'à moitié l'empreinte de Mozart ? Non. Car s'il fut complété et achevé par deux élèves du compositeur salzbourgeois, Joseph Leopold Eybler et Franz Xaver Süßmayr, l'œuvre est toute entière emplie de l'âme mozartienne dans ce qu'elle a de plus profond et transcendant. Ce qui est d'autant plus palpable lorsque l'interprétation est de qualité.
Et assurément, la performance livrée à Vichy par les solistes, le chœur et les musiciens tchèques est particulièrement appréciable. Réduite à une vingtaine d'instrumentistes issus de l'Orchestre Philharmonique de République Tchèque, la formation instrumentale donne tout au long de l'œuvre la tonalité idoine à l'œuvre : solennelle et grave quand nécessaire (comme dans l'Introïtus, avec le magnifique dialogue initial entre basson et cor de basset), puissante et énergique lorsque la partition le requiert (dans le Dies Irae et le Confutatis). La direction du chef Jan Chalupecký, mozartien averti, ne défaille jamais. D'un bout à l'autre, elle dicte une ligne claire et précise à un orchestre qui, en plus de jouer subtilement de l'art du canon, fait preuve d'une appréciable maîtrise de la variété des tempi et de la richesse des nuances. En ouverture de concert, l'interprétation par l'orchestre du Divertimento en si bémol majeur de Mozart est non moins savoureuse.
Côté voix, la performance est aussi grandement appréciable. Celle du chœur de l'Opéra de Prague en premier chef, à qui la partition confère la place la plus grande. La phalange tchèque démontre, après un somptueux Sancta Maria en guise d'introduction, qu'elle maîtrise parfaitement ce Requiem. La diction est claire, la projection, bien aidée par la physionomie du lieu, est idéale. La fusion entre voix masculines et féminines fonctionne à plein et, comme pour l'orchestre, la maîtrise des nuances est remarquable d'un bout à l'autre de l'oeuvre, jusqu'aux dernières mesures du Lux æterna. C'est tout particulièrement le cas dans le Confutatis, où le dialogue entre voix masculines et féminines est saisissant de beauté. D'abord les ténors et les basses qui, fortissimo, évoquent le feu cruel auquel sont voués les maudits ("Flammis acribus"), le tout avec une basse continue aux cordes qui fait l'effet d'un tourbillon infernal. Puis, sans transition, les voix féminines clament pianissimo leur prosternation et demandent à être appelés parmi les élus ("Voca me cum benedictis"). Le Lacrimosa est tout aussi bouleversant, débuté pianissimo, à bouches à peine ouvertes, pour aller crescendo et se conclure magistralement et puissamment sur un "Amen" forte qui porte l'homophonie du chœur à une quintessence. À cet instant précis de l'ultime souffle du Lacrimosa, la symbiose entre l'orchestre et le chœur est totale, et il semble que le temps se soit brutalement arrêté. Les voix se perdent dans un écho éternel, suivi par un silence prodigieusement religieux et assourdissant.
Après s'être mise en valeur seule face au public dans le Laudate Dominum, Zdena Kloubová déploie tout au long du concert un soprano vibrant, clair et aisément projeté, comme dans l'Introïtus. À ses côtés, la jeune mezzo-soprano Barbora Polášková se montre également à son aise, déployant une appréciable aisance vocale sur une large tessiture, particulièrement chaleureuse dans le medium et le grave. Côté hommes, Roman Vocel projette sans difficulté une austère voix de basse, conférant à ses interventions ce qu'il faut d'ardeur et de mystère (comme dans le Tuba Mirum, avec l'envoûtant accompagnement du trombone ténor). Enfin, Aleš Voráček, chanteur permanent au Théâtre National et à l'Opéra de Prague, est un ténor aux aigus vibrants et puissants, mais qui semble montrer moins de brillance à mesure qu'il s'approche du registre grave. Reste que, au-delà de leurs caractéristiques propres, les quatre solistes offrent au public de réels moments de grâce lors de leurs interventions communes. C'est le cas dans le Benedictus, où les quatre voix se répondent l'une à l'autre dans un parfait équilibre de nuance et de sonorité.
C'est ainsi un Requiem de haute tenue qui est offert au public vichyssois qui, au terme d'une interprétation d'une cinquantaine de minutes, laisse flotter un silence de rigueur avant d'offrir aux artistes l'ovation méritée.