Une Bohème à nostalgie rapprochée
Une vaste baie vitrée a vue, en noir et blanc, sur le sud de Paris des années soixante, tandis qu’une affiche annonce un concert d’Edith Piaf : avec la complicité des décors de Nathalie Holt, Gilles Bouillon a recadré La Bohème avec le même demi-siècle d’écart par rapport au spectateur d’aujourd’hui que celui qui séparait le livre de Murger et son adaptation par Puccini. Un pittoresque sobre anime l’atmosphère chez Momus, rehaussé par les costumes inspirés de l’après-guerre dessinés par Marc Anselmi. L’attente sous la neige saisit autant un marché du travail révolu que le frémissement des émotions qui étreignent les deux couples, tandis que le dénuement blanc de la mansarde resserre le drame, conformément aux attentes du public, rehaussé par les lumières de Marc Delamézière comme par une direction d’acteurs d’une simple sincérité.
Du plateau vocal se distingue la Mimi de Fabienne Conrad. L’homogénéité de la voix de la soprano française soutient la vulnérabilité du personnage, sans avoir besoin de céder à des facilités expressives. L’intégrité du matériau se vérifie sur l’ensemble de la tessiture, et réserve une touchante inquiétude face à la jalousie de Rodolfo au troisième acte, comme une émouvante agonie, où la mélancolie des souvenirs se teinte d’un tendre sourire. Davide Giusti (deuxième prix du concours Operalia l'été dernier) incarne un Rodolfo qui a la main sur le cœur, sans cependant laisser son jeu s’égarer dans des archétypes surannés. S’il sait faire frémir les sentiments du poète, la ligne n’est pas sans reproche, au vibrato parfois plus audible que nécessaire.
Le Marcello de Giulio Mastrototaro affirme une présence indéniable et communicative, mais ne peut faire oublier une intonation un peu basse, et que la relative platitude de son timbre n’arrange guère. Gabrielle Philiponet (à retrouver ici en interview) imprime à Musetta une évidente vitalité. Les aigus de sa célèbre valse lente "Quando m’en vo" résonnent avec santé et volonté, et dessinent la figure de coquette attendue, sans pour autant négliger la sensibilité dans le dernier acte, même si l’on peut y déceler un soupçon de tension dans l’émission.
Si le solide Hugo Laporte assume honnêtement les interventions de Schaunard, c’est le Colline campé par Yuri Kissin que l’on retiendra. Au quatrième acte, son évocation résignée du Mont-de-Piété, où il veut laisser en gage son manteau pour permettre à Mimi de soigner sa phtisie, met en évidence la rondeur et la chaleur de sa voix de basse, douée d’un legato intelligent et d’harmoniques riches, idéaux pour faire vibrer la bienveillance du philosophe. Secondaire dans l’économie générale du drame, celui-ci se révèle ici magistral dans son interprétation.
Le reste des comprimarii ne démérite pas. Nicolas Rigas résume, sans caricaturer, la veulerie de Benoît et d’Alcindoro. Daegweon Choi s’acquitte de l’apparition de Parpignol, et l’on mentionnera encore le douanier de Jean-Sébastien Frantz, Ge Song en chanteur ambulant, et Andrey Zemskov sous le képi du sergent. Mêlant les effectifs des chœurs de l’Opéra de Metz et ceux de Massy, les ensembles sont préparés efficacement par Nathalie Marmeuse, et sont complétés par la Maîtrise des Hauts-de-Seine, laquelle s’ébaudit sans fausse note dans les pépiements de la fête de Noël au deuxième acte. À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Massy, Dominique Rouits remplit son office de manière généralement convaincante, et participe à la satisfaction du public.