Une Butterfly iconoclaste à Limoges
Dans une boîte en suspension se reconnaît, en miniature, la demeure de Cio-Cio-San, avec ses panneaux coulissants et ses incontournables accessoires pittoresques, tandis qu'en fond de scène, la caméra part d'un réduit dans une rue limougeaude pour une déambulation dans la cité limousine, en compagnie d' « une jeune fille désorientée » qui s'identifie à l'héroïne de Puccini, casques sur les oreilles avec en boucle sans doute la musique de l'opéra, sous le soleil parfois neigeux de février. Après un entracte, allongé à quarante-cinq minutes pour permettre le changement de décor, le drame se noue dans le studio suspendu envahi de babioles nippones contemporaines, tandis que l'orchestre prend place sur le plateau, et que défilent en toile de fond, des planches de manga, avant de revenir, pour le dénouement fatal, dans la chambre de l'adolescente, où le sang coulera par une scarification des veines qui tiendra lieu de sacrifice.
Plutôt qu'illustrer le réalisme cinématographique de Madame Butterfly, le duo lelab, formé par Olivier Deloeuil et Jean-Philippe Clarac, ont imaginé une mise en abyme de l'opéra dans le mal-être d'une jeune fille d'aujourd'hui. Du fantasme orientaliste initial, les metteurs en scène ont fait un jeu interactif dans lequel l'héroïne s'est prise, jusqu'à croire consommé un mariage uniquement de théâtre. L'enfant Dolore devient alors un robot miniature qu'elle chérit comme son bébé. La production assume d'ailleurs le décalage du regard sur le livret de Giacosa et Illica, et s'intitule Butterfly, itinéraire d'une jeune femme désorientée – on notera plusieurs déplacements sémiologiques en conséquence, à l'exemple de l'Amérique de Cio-Cio-San sous les traits du Japon moderne. Si cette plongée dans les frontières troubles entre réel et virtuel parle des nouvelles générations, elle tient la gageure de se mesurer à l'un des plus grands archétypes du naturalisme des sentiments du répertoire lyrique. Difficile de ne pas céder aux sirènes du premier degré, même si la force de cette proposition dépasse les difficultés et les interrogations de la transposition.
Cela étant, ce spectacle stimulant n'a pas entamé l'intégrité de la partition, mis à part quelques très discrets choix qui tiennent d'ailleurs plus de la multiplicité des révisions successives du compositeur. Dans le rôle-titre, Camille Schnoor fait forte impression, et, pour sa première apparition en France, tient de la révélation pour le public. Elle investit son incarnation avec une intensité perceptible, sans jamais se brûler les ailes, et démontre un engagement d'une évidente constance. Le timbre, coloré et homogène sur l'ensemble de la tessiture, jusque dans des aigus qui ne renoncent pas à la chair de la voix, condense le caractère dramatique du personnage, également magnifié par une ligne longue et maîtrisée, soutenue sans faiblesse aucune.
Sans doute fragilisé par le stress de la première, Georgy Vasiliev laisse échapper quelques fêlures dans la vaillance de son Pinkerton, en particulier dans l'entre-deux-registres, de l'émission en poitrine à celle de tête. Moins exposé, le dernier acte le voit concentré sur la sincérité du remords. André Heyboer se révèle en revanche sans reproches en Sharpless. L'onctuosité du baryton français se révèle le miroir idéal de la bienveillance paternelle du consul. Solidité de l'instrument et justesse de l'expression se conjuguent admirablement. En Suzuki, Marion Lebègue tire parti de son mezzo charpenté pour donner une intéressante épaisseur à la servante.
Le reste du plateau se montre parfaitement complémentaire. Raphaël Brémard condense un Goro un peu nasal, pour mieux faire ressortir la mesquinerie de l'entremetteur. Victor Sicard assume un Yamadori sobre, sans fausse note, quand Ugo Rabec tonne de son gosier riche en harmoniques un bonze puissant qui frappe l'oreille. Préparés efficacement par Jacques Maresch, les chœurs fournissent également les effectifs des autres comprimarii, parmi lesquels se distinguent essentiellement les répliques solistes de la Kate sensible et ronde d'Agnès Cabrol de Butler, celles de l'officier, confié à Christophe Gateau, et du commissaire impérial, dévolu à Gregory Smoliy, d'une présence identifiable. Quant à la direction de Robert Tuohy, elle s'adapte aux deux configurations de l'orchestre pour équilibrer les dynamiques entre les pupitres sans altérer la fluidité des couleurs et faire ressortir, sans afféterie inutile, la vérité dramatique de Puccini, revisitée par le duo Clarac-Delœuil, dont la résidence à l'Opéra de Limoges sera d'ailleurs reconduite.