Raphaël Pichon et l’ensemble Pygmalion éblouissants à la Chapelle Royale de Versailles
La soirée commence malheureusement avec l’annonce de l’absence de Sabine Devieilhe, trop souffrante pour assurer la partie de soprano solo (récemment sacrée avec un rare doublé aux Victoires de la Musique classique, après les Dialogues des Carmélites au TCE et en récital à l'Opéra Royal de Versailles, Sabine Devieilhe est à apprécier dans cinq spectacles toute l'année à partir de 18€ !). Elle est remplacée par l’Américaine Alisa Jordheim. La déception est vite oubliée, alors que la contralto Sara Mingardo entame, depuis une partie cachée de la tribune, le graduel Christus factus est. Tandis que le chœur, l'orchestre et le chef restent parfaitement immobiles, la voix de la chanteuse s’élève seule, comme par pure magie, dans cette chapelle chargée d’histoire. Le concert s’ouvre ainsi sur un extraordinaire moment de grâce. Malgré quelques minimes défauts de justesse, la contralto semble avoir chanté ce répertoire toute sa vie, et cela lui correspond parfaitement.
A peine la dernière note du graduel éteinte, Raphaël Pichon donne le départ du Miserere d’Allegri, sans avoir besoin de donner leurs notes de départ au chœur. Les quatre solistes sont à la tribune, face au public, tandis que les ténors sont invisibles. Il se dégage de cette disposition un effet extrêmement mystique. Les solistes ont un très beau son, homogène, et la soprano maîtrise parfaitement son vibrato, offrant des aigus superbes. Pichon sait tirer parti de la grande sacralité du lieu, et dirige avec beaucoup de subtilité son chœur qui le suit avec un bonheur visible.
Les musiciens enchaînent avec la Maurerische Trauermusik (œuvres maçonniques) de Mozart. Les ténors ont pris la place des solistes, et sont désormais bien visibles à la tribune. Les instrumentistes jouent tous sur instruments anciens, et le chef cherche manifestement à s’approcher le plus possible du son d’époque, que des oreilles non averties pourraient trouver un peu sec. Pour la pièce suivante, Ne pulvis et cinis, de Mozart également, les ténors ont désormais rejoint le chœur. C'est une pièce très intense, qui annonce déjà le Requiem. La direction de Pichon est minutieuse, toute en précision et délicatesse.
Mozart laisse la place à son contemporain, Joseph Haydn, qu’il avait convaincu de rejoindre lui aussi la même loge maçonnique. Pour cette pièce, Insanae et vanae curae, les solistes sont maintenant installés à droite de l’orchestre. Malheureusement, l’acoustique du lieu, un peu sèche pour une chapelle, est assez défavorable aux solistes (suivant la place de l’auditeur) dans cette disposition. La basse Nahuel Di Pierro a une voix impressionnante, extrêmement timbrée, mais se trouve couvert par moments par l’orchestre. Il offre malgré tout une très belle incarnation de l'œuvre. Rejoint par ses partenaires, les moments de quatuor sont étonnamment opératiques.
Retour désormais à Mozart, et Pichon offre de très beaux moments de grâce dans la (re)découverte de cette pièce peu donnée qu'est le Miserere. De nouveau, le chef enchaîne, après la dernière longue note tenue de l’œuvre, avec le Requiem. Il s’agit d’une nouvelle complétion de l'oeuvre, réalisée en 2016-2017. Le chef a d’ailleurs choisi la prononciation latine à l’allemande. En effet, c'est toujours un exercice très difficile que de donner le Requiem, et Pichon propose ainsi une touche originale à son interprétation (en France en tout cas, il est très rare d’entendre la prononciation allemande du latin).
La fugue du Kyrie se lance dans un tempo audacieux mais maîtrisé, le Dies Irae est jouissif, surtout dans la minutie des dynamiques, et dans le Tuba mirum, la basse est magnifique. Le ténor John Irvin a une voix très tubée, mais qui dans ce lieu ne voyage pas beaucoup. La voix de la contralto très sonore, très ronde, ressort avec beaucoup d'élégance. La soprano est pleinement à l'aise dans ce répertoire. Les quatre voix s’accordent très bien dans le Recordare, mais la basse se distingue toujours par ses qualités vocales et musicales. Le Lacrimosa est particulièrement intense, il est juste un peu dommage que quelques consonnes se perdent quand il ne faudrait pas.
Raphaël Pichon dirige avec beaucoup de générosité, et le plaisir de tous les interprètes est contagieux. Le chef a parfaitement relevé le défi que représente l’interprétation en concert d’une telle œuvre. Tout le concert était parfaitement conçu, et réalisé avec beaucoup d'élégance. Les applaudissements (les premiers du concert, puisque toutes les pièces se sont enchaînées) sont généreux et mérités.