La folle Vie Parisienne d’Offenbach à l’Odéon de Marseille
Entre 1862 et 1864, les dramaturges Henri Meilhac et Ludovic Halévy créent trois comédie-vaudevilles fort appréciées du public parisien : La clé de Métella (1862), Le Brésilien (1863) et Le Photographe (1864). Proches collaborateurs du compositeur Jacques Offenbach (1819-1880), ils ont ensemble l’idée de composer un opéra-bouffe en utilisant les personnages de ces œuvres, bien connus des amateurs de vaudevilles et étant chacun une caricature de ceux que l’on peut croiser dans la capitale. C’est ainsi qu’est créé le 31 octobre 1866 au Théâtre du Palais-Royal La Vie Parisienne. Par cette satire de la vie parisienne et grâce au rythme soutenu des alternances entre courtes mélodies, danses et moments parlés, Offenbach et ses amis obtiennent un grand succès dès la première. Cet opéra-bouffe en 4 actes raconte le séjour parisien d’un baron suédois, le Baron de Gondremarck, qui veut ainsi profiter de tous les divertissements de la ville lumière. Le malicieux Raoul de Gardefeu, son ami Bobinet et ses domestiques profitent eux aussi du séjour de cet étranger pour se divertir à leur façon. Lorsque le Baron se rend compte enfin de la duperie, il leur pardonne volontiers, ne s’étant finalement pas ennuyé grâce à eux !
Le fidèle public marseillais amateur d’opérettes apprécie les mises en scène qui allient simplicité et originalité. Il ne ressort absolument pas déçu du plateau imaginé par Nadine Duffaut : à l’ouverture du rideau, une locomotive à vapeur « Roland » fait face aux spectateurs avant de s’ouvrir en deux pour constituer les décors de chaque acte. Dans un sens ou dans un autre, des panneaux modifient aisément l’aspect des murs ainsi édifiés. Ce sont surtout les lumières qui créent des atmosphères différentes, selon les lieux, les personnages et leurs actions. La Maison Grout, spécialisée dans les costumes d’opérette, est toujours le partenaire privilégié de l’Odéon, dont le spectateur apprécie particulièrement les robes colorées et scintillantes que l’on imagine portées par l'élégante gent féminine sous le Second Empire. Si la mise en scène est également autant appréciée, c’est qu’elle laisse toute sa place au jeu des chanteurs, essentiel dans ce genre aux attraits comiques.
Justement, le plateau ne manque pas d’excellents comédiens. Les spectateurs marseillais s’enthousiasment une fois encore pour la jeune Amélie Robins, ici en la gantière Gabrielle. Le plus souvent, la soprano privilégie la beauté de son timbre lumineux à la compréhension de son texte, mais on ne peut que tomber sous son charme et ses quelques démonstrations vocales réussies, notamment à la fin de la scène – assez ridicule mais très appréciée – « Son habit a craqué dans le dos » (acte III). La séduisante Métella est évidemment portée avec toute la grâce altière et le beau timbre de Laurence Janot. Assurément, ses airs auraient davantage touché si son souffle lui permettait un phrasé et une diction plus fluides, notamment dans la lecture de la lettre du comte (acte I). La Baronne de Gondremarck est interprétée avec l’assurance scénique et vocale de Cécile Galois. Si sa voix manque sans doute de fluidité entre ses différents timbres et registres, cela ne porte en aucun cas atteinte à la bonne interprétation de son personnage. La femme de chambre Pauline de Carole Clin possède aussi une particularité qui sert son jeu scénique, par sa voix nasale et volontairement acide mais – étonnamment – pas désagréable.
Le rôle masculin le plus apprécié est sans aucun doute celui du Baron de Gondremarck, interprété par Olivier Grand. Ce baryton possède une juste puissance vocale, bien assise, lui donnant la liberté de chanter avec humour et soin. Le jeune Samy Camps incarne le charmant Raoul, et puisque l'orchestre veille attentivement à ne pas le couvrir, on apprécie son timbre de ténor léger et agile. Son complice Bobinet est chanté par le ténor Rémy Mathieu, au timbre clair et élégant. Son premier air « Allons-y donc » (acte I) aurait été sans doute très réussi si ses semelles ne claquaient pas autant sur le plancher de la scène. Il faut encore saluer les prestations comiques d’Éric Huchet (récemment interviewé par nos soins) en bottier allemand Frick et en Brésilien, qui soigne l’accent de ses personnages jusque dans le chant, compromettant au début un rien la compréhension de son texte. Notons son très sympathique « Je suis le major » (acte II). Enfin, n’oublions pas l’Alfred et l’Urbain de la basse Antoine Garcin, bien présent scéniquement et vocalement malgré l’opposition de ses rôles.
Les artistes du Chœur Phocéen, préparés par Rémy Littolff, prennent visiblement un réel plaisir à chanter et à jouer cette opérette, avec d’intéressantes mais légères propositions de timbres caractéristiques, nasales ou pincées. Ce jeu scénique perturbe néanmoins leur qualité vocale, qui souffre parfois d’un manque de précision, rendant alors difficile la compréhension des ensembles. Emmanuel Trenque, que l’on connaît ici surtout en tant que chef de chœur de l’Opéra de Marseille, est cette après-midi à la direction de l’Orchestre du Théâtre de l'Odéon. Si celui-ci se montre un très bon accompagnateur, on regrette qu’il ne se révèle davantage lors des moments instrumentaux qui ouvrent et ferment chaque acte, restant dans un confort manquant d’audace – les tempi restant relativement peu rapides – et parfois même d’énergie. Il faut saluer l’homogénéité des pupitres graves et médiums, qu'on n’aurait aucun regret à entendre davantage. Si l’on apprécie particulièrement les interventions de la flûte, les violons – plus exposés que les autres instruments – manquent encore d’assurance dans les parties aiguës et parfois de précision. Les six danseurs du Ballet de l’Opéra Grand Avignon rejoignent le spectacle pour de belles interventions dansées, imaginées par Éric Belaud, et surtout le final très festif, aux allures de french cancan et aux figures chorégraphiques parfois impressionnantes, à la limite de l’acrobatique.
C’est en musique que le plateau salue le public enthousiaste de l’Odéon, qui, aux rythmes enflammés du chœur final « Feu partout, lâchez tout ! », frappe joyeusement des mains pour applaudir cet agréable moment offert par tous ces musiciens passionnés.