Une Traviata en clair-obscur à l'Opéra Bastille
La
seconde distribution programmée pour la reprise de La Traviata
à l'Opéra Bastille était l'une des plus attendues de la saison :
Anna Netrebko devait interpréter Violetta, aux côtés de Charles Castronovo en Alfredo Germont et de Plácido Domingo en Giorgio
Germont. Pour beaucoup de spectateurs, la déception a été à la hauteur de l'attente quand la diva a annoncé qu'elle ne pourrait assurer les trois représentations prévues. Il leur a fallu faire
contre mauvaise fortune bon cœur, aidés en cela par Marina Rebeka,
qui a repris le rôle de Violetta qu'elle chantait déjà dans la première distribution. Dotée d'un beau timbre de soprano, agile
dans les vocalises, Marina Rebeka investit le rôle avec grâce, mais
sa voix ne porte pas idéalement pendant le premier acte.
Heureusement, elle gagne en assurance au cours de la représentation
et son interprétation atteint son apogée vocal et dramatique dans
le dernier acte.
Après Rame Lahaj, c'est le ténor Charles Castronovo qui se voit confier le rôle d'Alfredo. Il met sa voix au timbre sombre et velouté au service de son personnage d'amant passionné, dont il rend avec intensité l'amour éperdu, la folle jalousie, mais aussi les terribles remords. La projection est excellente et la prononciation de l'italien tout à fait correcte, mais on peut regretter que les nuances ne soient pas plus marquées. L'équilibre avec la voix de sa partenaire est parfois fragile. Ainsi, dans le fameux « Libiamo », la voix du ténor brille, très à son avantage, mais étouffe aussi parfois celle de la soprano. À l'inverse, le duo entre les deux Germont, père et fils, dans le deuxième acte, est plus réussi : le contraste entre la voix dense et brillante du ténor et la voix plus grave et plus mate de Plácido Domingo sert à la fois l'interprétation musicale et dramatique.
Le grand Plácido Domingo était lui aussi très attendu. Il est touchant d'entendre aujourd'hui en Giorgio Germont celui qui a été un grand interprète d'Alfredo. La voix a certes changé, elle semble parfois moins sûre ou moins timbrée, mais quel bel exemple de résistance au temps ! La projection est encore admirable, aussi bien dans les récitatifs que dans les airs, et l'engagement du chanteur ne faiblit pas tout au long de la représentation. Lors de cette soirée, le chanteur a aussi montré de quelle maîtrise il pouvait faire preuve : contraint de s'interrompre au milieu d'un air (vraisemblablement en raison d'une légère irritation), il a su reprendre après quelques instants, sans se départir de son calme, et poursuivre la représentation avec panache. Cet effort lui a valu les applaudissements enthousiastes et chaleureux du public, applaudissements renouvelés au moment des saluts : le chanteur était l'un des plus salués ce soir, signe de l'admiration et de l'affection que les spectateurs ont pour lui.
Les interprètes des rôles secondaires sont les mêmes que pour les précédentes représentations. Leur qualité contribue à l'homogénéité de la distribution. Virginie Verrez propose une Flora discrète et élégante, à la voix chaude. Annina est chantée par Isabelle Druet, à la voix sonore et aussi engagée qu'à l'accoutumée. Malgré des interventions très courtes, Julien Dran, en Gastone, et Tomislav Lavoie, en Docteur Grenvil, ne déméritent pas. Enfin, Philippe Rouillon, avec sa voix grave et bien projetée, compose un Baron glaçant et antipathique au possible.
Les Chœurs de l’Opéra de Paris, dirigés par Alessandro Di Stefano, sont à la hauteur de leur réputation. La mise en scène de Benoît Jacquot maintient cependant les choristes, tous vêtus de noir, dans le rôle statique d'une instance à la fois populaire et tragique, ce qui ne leur permet pas de faire la preuve de leurs qualités de jeu. L'Orchestre de l'Opéra National de Paris, quant à lui, sous la direction attentive et mesurée de Dan Ettinger, remplit sa mission avec efficacité, mais sans éclat particulier. Son interprétation est en quelque sorte à l'image de la mise en scène elle-même : une proposition convenable, peut-être un peu convenue, à laquelle nul ne peut reprocher de brutaliser l'œuvre ou de chercher à provoquer un scandale, mais qui n'en renouvelle pas non plus l'interprétation.