À Genève, Faust de Gounod magnifié par Michel Plasson
En cette année de commémoration du bicentenaire de la naissance de Charles Gounod, l’Opéra de Genève a confié le soin à Georges Lavaudant de présenter une mise en scène nouvelle du Faust de Charles Gounod. En lien avec Jean-Pierre Vergier - qui a créé décors et costumes -, et de son dramaturge Jean-Romain Vesperini, il situe l’action générale dans une sorte de zone industrielle assez grise qui, au fil des scènes, se transforme en cabaret bigarré et surchargé de couleurs lors de la kermesse ou dont les panneaux s’entrouvrent pour laisser apparaître la chambre de jeune fille de Marguerite, avec ses poupées et ses photos de famille, sa gravure du Sacré Cœur de Jésus. Tout est alors blanc, comme les costumes de Marguerite avant le péché, pour basculer ensuite dans le noir et le dépouillement. Le lit souillé est alors dépouillé de tout ornement sauf un modeste crucifix que l’on retrouvera plus tard au cou de Marguerite avec d’autres croix à la scène de l’église.
Georges Lavaudant donne à la jeune femme la place principale au sein du drame, Faust et Méphisto se rejoignant dès lors dans une même lâcheté, un même mépris des autres. Si la direction d’acteur s’avère juste et précise, il manque à cette approche une réelle ligne directrice, les scènes se succédant les unes aux autres de façon un peu discontinue, quelquefois de façon un peu abrupte. D'autant que le propos est davantage surchargé qu'enrichi par ces danseuses sorties tout droit du Moulin Rouge avec plumes et paillettes. La scène finale qui voit l’âme de Marguerite sauvée et Méphisto terrassé apparaît bien kitsch avec ces religieux et ces repentants qui ne cessent de brandir des croix en tous sens. Par contre, la scène de l’Église avec Méphisto se substituant au Christ sur l’autel en se parant de la couronne d’épines pour mieux effrayer et tromper la pécheresse est fort réussie, inquiétante à souhait.
Méphisto justement est constamment accompagné par quatre diables serviteurs, qui se chargent de toutes ses basses et serviles œuvres. Ainsi, ils sortiront de la boîte disproportionnée déposée par le diable, censée contenir les bijoux, une spectaculaire robe-miroir sur tissu blanc dont ils aideront Marguerite à se vêtir pour interpréter le fameux « air des bijoux ». Dès lors, le piège se referme sur Marguerite, enivrée et rendue ainsi terriblement vulnérable. Si quelques réserves peuvent être émises au plan scénique, la partie strictement musicale du spectacle n’apporte guère que des satisfactions. Il est à noter que le ballet et donc la Nuit de Walpurgis sont absents de cette production, alors que le second air de Siebel au 4ème acte « Versez vos chagrins dans mon âme », souvent coupé, se trouve maintenu. S’il n’apporte rien au plan dramatique, il permet de découvrir les beaux moyens de la jeune mezzo-soprano américaine Samantha Hankey, avec son joli vibrato et sa profonde musicalité. Le baryton Shea Owens campe un Wagner fort convaincant et Marina Viotti, membre de la troupe des jeunes solistes en résidence à l’Opéra de Genève, une Dame Marthe pleine d’allure et peu soucieuse de sa vertu. Jean-François Lapointe, en forme superlative, incarne un Valentin à la voix pleine et sonore. Sa grande voix de baryton à l’aigu orgueilleux rend pleinement justice à un personnage un peu sacrifié et auquel il confère une profonde humanité. Il est impatiemment attendu en mars prochain pour incarner Hérode dans la trop rare Hérodiade de Jules Massenet à l’Opéra de Marseille.
John Osborn atteint à l’idéal dans le rôle du docteur Faust. Comme le démontre son tout récent récital d’airs d’opéras français « A tribute to Gilbert Duprez » paru chez Delos, il montre des qualités rares de compréhension au plan stylistique des caractéristiques particulières du chant hexagonal et de la nuance, d’une voix à la ligne parfaite, à l’aigu épanoui - le contre-ut de la cavatine le démontre - et surtout jamais forcée. Le musicien se situe à la hauteur du chanteur. C’est tout simplement un bonheur permanent que de l’entendre en scène ou au disque. Doté de moyens vocaux presque colossaux, telluriques, la basse polonaise Adam Palka ne fait qu’une bouchée du rôle de Méphistophélès tant dans ses aspects maléfiques que presque comiques. De fait, il déborde du cadre à plusieurs reprises et bouscule trop souvent le phrasé en accentuant bien inutilement l’intention vocale ou musicale. Son français n’est pas encore trop idiomatique, mais l’artiste possède de vastes ressources qui une fois un rien canalisées, devraient lui permettre de compter parmi les principales basses actuelles.
La Marguerite de Ruzan Mantashyan séduit infiniment. Elle possède une voix de soprano épanouie, claire et qui trouve sa pleine expression dans la scène du jardin. Mais comme d’autres cantatrices en charge de ce rôle exigeant, elle bute quelque peu sur les écarts de la scène de l’église et plus encore de la scène finale qui requiert des moyens plus intensément dramatiques. Mais le portrait apparaît touchant, véridique. Le Chœur du Grand Théâtre de Genève dirigé par Alan Woodbridge se donne pleinement dans cet ouvrage exigeant pour lui : le chœur des soldats « Gloire immortelle de nos aïeux » s’avère à ce titre exemplaire de tenue et d’implication.
Michel Plasson, comme rajeuni, connait mieux que quiconque la partition de Faust pour l’avoir très souvent dirigée à la scène et même l’avoir enregistré en 1990 avec les forces du Capitole de Toulouse. Toute en clarté et en précision, mais aussi chaleureuse ou palpitante, sa direction est un hommage permanent à la musique de Charles Gounod et à son originalité profonde. Ce fut le grand bonheur de cette fort belle soirée.