Serenad Uyar transcende La Traviata à Clermont-Ferrand
« Dès les premières notes de l’ouverture de La Traviata, Verdi annonce la fin, ou bien ne se place-t-il pas déjà à la fin, pour remonter ensuite le passé avec le regard particulier qui caractérise la tragédie ? C'est ce double point de vue qui guide ce projet. »
C'est ainsi que le metteur en scène, Olivier Desbordes, explique le concept de sa scénographie, qui prend le parti de montrer deux Violetta : l’une, depuis son lit de mort, se remémore en chantant ses jours passés avec Alfredo Germont, tandis que l’autre, muette, incarne ce qu'elle a été sur la scène. Et pour lier ces deux âmes, un caméraman suit en permanence, et de très près la première, tandis que l’image est retransmise en noir et blanc sur un écran en fond de scène. Si l’idée du metteur en scène est très intéressante et peut effectivement éclairer d’une nouvelle lumière l’œuvre de Verdi, la réalisation s’avère compliquée, aussi bien visuellement pour le spectateur, que pour les artistes sur scène.
Pendant la majeure partie de l'opéra, Violetta chante depuis son lit, à cour, et le spectateur la regarde presqu'uniquement à travers l’écran (un léger décalage son/image qui aurait pu tout gâcher a heureusement été réglé rapidement). La courageuse interprète chante donc presque tout en position allongée, ou au mieux à genoux… Et simultanément, la Violetta muette dégage malheureusement assez peu d'émotions, ne semble pas ressentir grand chose, et il devient alors difficile de réaliser que les deux artistes incarnent le même personnage. C'est également compliqué pour les autres personnages, qui chantent donc face à une comédienne muette, et peu expressive. Et la difficulté augmente lors des duos, qui demandent une grande coordination entre les chanteurs.
L’acoustique du théâtre, qui a été rénové récemment, est particulièrement agréable, et donne l'impression au spectateur que le son vient de partout en même temps. Dans la fosse, c'est un orchestre réduit (17 musiciens) qui se trouve sous la direction de David Molard. Malheureusement, quelques soucis de justesse, notamment chez les violons et les flûtes, gâchent un tout petit peu une interprétation d’autre part très intéressante et subtile. Le chœur est très réduit lui aussi, avec d’un côté 7 choristes, rejoints quand il le faut par les 5 personnages secondaires. Cela ne les empêche pas d’être excellents, aussi bien scéniquement que musicalement. Ils incarnent à merveille la société qui cherche à imposer sa conduite à Violetta. Les décors sont réduits, les costumes, simples et sobres ne sont pas particulièrement datés, tout cela laisse le spectateur libre d’apprécier le double drame qui se déroule devant ses yeux.
Alfredo est interprété par l’italien Gino Nitta, qui semble légèrement dépassé par ce rôle très exigeant. Sa voix manque de timbre, ses aigus sont souvent poussés, il a une fâcheuse tendance à tout prendre par en-dessous, et tout cela lui pose de sérieux problèmes de justesse. Scéniquement très bon, ses problèmes techniques empêchent malheureusement de l'écouter avec plaisir. Le rôle de Germont est tenu par le français Christophe Lacassagne, qui a la voix de l’emploi, mais ne semble connaître qu'une seule nuance, le forte. Un peu plus de souplesse et de subtilité auraient été appréciables, notamment dans la grande scène avec Violetta. Malgré tout, il incarne le personnage avec beaucoup de talent, et le fameux duo avec Violetta est un magnifique moment, très apprécié par le public. Parmi les rôles secondaires, globalement moyens, on retiendra le Baron Douphol (Laurent Arcaro), aussi bien vocalement que scéniquement.
Le grand bonheur de cette soirée est l’incroyable Serenad B. Uyar, époustouflante dans cette interprétation particulièrement puisqu'elle a extrêmement peu de contacts avec ses partenaires, ce qui lui permet de jouer la maladie presque jusqu'à la folie. Si ce n’est qu'elle ne joue pas, elle incarne chaque mot, chaque note, avec une vérité telle, qu'elle crève l’écran (puisque c'est ainsi qu'on la voit), et capte tous les regards. Jamais dans la démonstration, elle incarne littéralement le personnage, comme peu de chanteuses avant elle. Sa voix n’est pas sans rappeler le métal d’une certaine Maria Callas, et elle sait la moduler à loisir, entre des sons durs et des sons au contraire extrêmement moelleux, capable de commencer une phrase dans le plus pur des pianissimi, pour la finir dans un magnifique forte. Les mots manquent pour exprimer à quel point elle est bouleversante. D’ailleurs, lorsqu'elle vient saluer, elle est visiblement elle-même encore très émue, comme si elle peinait à sortir du personnage. Et c'est bien normal, étant donné que le metteur en scène lui impose d’être en permanence sur scène (puisque c'est son souvenir qui s’y déroule), lui retirant les quelques pauses que le compositeur avait laissées à la pauvre soprano. C'est un véritable exploit de sa part, et le public ne s'y trompe pas puisqu'il l’acclame avec ardeur.