Marina Rebeka colore la sombre Traviata de Bastille
L’Opéra Bastille programme jusqu’au 28 février une nouvelle reprise de la production de La Traviata de Verdi dans la mise en scène de Benoît Jacquot créée en 2014, avec une distribution totalement nouvelle. Lors de la reprise précédente avec notamment la superbe Maria Agresta il y a deux ans, nous avions détaillé les éléments principaux de cette mise en scène somme toute assez classique et surtout sombre d’ambiance, voire un rien mortifère. Le spectacle retrouve ces masses de chœurs statiques, ce noir qui emplit la scène, cette atmosphère pesante que les échos lointains du carnaval dans les rues de Paris ne parviennent pas à balayer. Ce côté unilatéral semble vouloir évacuer toute trace d’émotion. Il est certain que le sort de Violetta apparaît tragique, comme celui d’ailleurs des autres protagonistes qui resteront marqués à vie. Il appartient donc aux chanteurs et au chef d’orchestre de relever le défi et « d’animer un peu » l’action en elle-même et ses multiples déclinaisons. Ce n’est pas tout à fait le cas pour la direction d’orchestre de Dan Ettinger qui assure la représentation avec un métier affirmé, mais sans cette étincelle supplémentaire qui transcende la musique de Verdi et transporte le public. Les Chœurs de l’Opéra, préparés par Alessandro Di Stefano, sont en revanche parfaits.
Dans le rôle-titre, la fort belle soprano Marina Rebeka fait valoir une voix large au grain superbe, colorée d’accents assez dramatiques voire profonds. Se fondant sur cet ensemble de qualités et sur une vocalise déterminée, elle force trop la voix au premier acte, s’exposant à un aigu particulièrement difficile à la fin de son grand air. Le quatrième acte surtout la trouve beaucoup plus inspirée, plus en phase avec ses moyens réels. Son interprétation de l’air « Addio, del passato » particulièrement maîtrisée voire bouleversant, constitue indéniablement le moment fort de la soirée.
À ses côtés, le ténor Rame Lahaj pâlit quelque peu. La voix un peu sourde se perd un peu dans le vaste vaisseau de Bastille et la justesse est à surveiller. Mais le personnage, un peu dépassé par cet amour total, convainc tout à fait par sa jeunesse et sa fraîcheur. Hélas, le Giorgio Germont incarné par Vitaliy Bilyy ne se démarque guère, la voix paraissant quelque peu fatiguée et manquant cruellement de projection.
Belle satisfaction par contre pour les seconds rôles que ce soit l’Anina à la voix assurée et chatoyante d’Isabelle Druet, la Flora Bervoix très remarquée de Virginie Verrez, le Gastone fort bien chantant de Julien Dran, avec une mention toute spéciale pour Philippe Rouillon qui donne au Baron Douphol une puissante existence menaçante et qui au plan vocal passe sans difficulté la rampe malgré de longues années de carrière.
Les trois dernières représentations de la série (21, 25 et 28 février) feront appel à trois stars du chant actuel, Anna Netrebko, Charles Castronovo et Placido Domingo. Des soirées qui se joueront à guichets fermés, mais Ôlyrix sera bien entendu présent et vous en rendra compte.
Dans sa programmation de la saison 2018/2019, l’Opéra Bastille prévoit deux nouvelles séries de reprises de la production de Benoît Jacquot, en octobre 2018 déjà avec Aleksandra Kurzak et Jean-François Borras (une excellente nouvelle), puis en décembre avec Ermonela Jaho et Charles Castronovo (16 représentations en totalité). Puis une nouvelle mise en scène, signée du jeune trublion australien fort doué Simon Stone, sera présentée à l’Opéra Garnier -et non plus à Bastille- en septembre 2019 avec notamment en alternance pour Violetta, Pretty Yende et Nino Machaidze, pour Alfredo Benjamin Bernheim (qui vient de triompher dans La Bohème montée par Claus Guth à Bastille) et Atalla Ayan, pour Giorgio Germont Ludovic Tézier et Jean-François Lapointe. Il est clair que l’approche de l’ouvrage par Simon Stone sera radicalement différente de celle de Benoît Jacquot !