Bizet et Debussy, de la Villa Médicis à la Cité de la Musique
Les compositeurs lauréats du prestigieux Prix de Rome sont tenus de passer deux ans pour parfaire leur art à la villa Médicis. Georges Bizet y composa sa Symphonie Roma à la toute fin de son séjour et Claude Debussy La Damoiselle élue ainsi que Printemps, ses premières pièces dédiées à l’orchestre. Bizet vécut ces années romaines avec grand bonheur : « Le paradis que nous habitons et que l’on nomme Villa Médicis est délicieux. [...] On vit tout à fait en artiste, c’est-à-dire que toutes les préoccupations étrangères à l’art et au bien-être de chaque individu sont complètement bannies de notre existence. »
Le premier mouvement de la Symphonie Roma intitulé "Une chasse dans la forêt d’Ostie", donne la part belle aux quatre cors qui se révèlent de véritables solistes. Le troisième mouvement, Procession, démontre le talent de Bizet pour l’invention de thèmes invitant à les reprendre en chœur. Le pupitre des cordes déploie une sonorité homogène et enveloppante bien que parfois les violoncelles demeurent en retrait, notamment lors de passages solos. Au début de son projet, Bizet imagina une œuvre dont chaque partie serait dédiée à une ville italienne. Dans sa version définitive, seul le dernier mouvement conserve cette référence : Carnaval à Rome et s’inspire d’une tarentelle, danse endiablée du sud de l’Italie. On y reconnait des esquisses de thèmes et de rythmes qui seront repris et développés dans son opéra Carmen. Ce dernier mouvement rapide achève la symphonie, sollicitant tout l’orchestre dans un tourbillon effréné.
Debussy vécut sa résidence à Rome de façon moins idyllique que Bizet. « Je vis nettement les ennuis, les tracas qu’apporte fatalement le moindre titre officiel. Au surplus, je sentis tout de suite que je n’étais plus libre. » Il se déclara « écrasé, annihilé » dans cette « prison » de la Villa Médicis où « un accord dissonant provoquerait presque une révolution ».
La
Demoiselle élue,
poème lyrique pour voix de femme solo, chœur et orchestre met en
musique un texte du poète et peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti. Debussy confia avoir voulu composer « un
petit oratorio dans une note mystique un peu païenne ».
La pièce dédiée à Paul Dukas recueillit un beau succès malgré
les reproches de certains critiques trouvant l’œuvre très
sensuelle et décadente. La délicatesse des cordes dans une nuance
mezzo piano plonge le public dans cet univers musical aux harmonies
si colorées. L’intervention des seize femmes composant le chœur est impressionnante de précision et d’homogénéité. Issues de
l’ensemble vocal Sequenza 9.3, ces solistes professionnelles ont
fait le choix du répertoire vocal polyphonique sous la direction
exigeante de Catherine Simonpietri. L’écriture homophonique et le
travail d’harmonisation des timbres permettent une bonne
compréhension du texte et une belle cohérence du son.
Les
deux solistes abordent la partition très différemment : la
mezzo-soprano, Catherine Trottmann, demeure très sobre lors de ses
deux interventions alors que la soprano, Melody Louledjian, adopte
une attitude plus opératique comme en témoignent aussi sa robe rose
fuchsia et ses grands pendants d’oreilles brillants. La voix ronde
et chaude de la mezzo-soprano pose d’emblée un problème de
projection, très souvent couverte par l’Orchestre national d'Île-de-France surtout dans le
medium et le grave de sa tessiture. La soprano bénéficie d’une
écriture plus démonstrative et sa voix vibre sur toute son étendue,
souffrant cependant elle aussi d’un orchestre trop sonore
lorsqu’elle chante dans le medium. Des questions se posent alors :
les voix sont-elles assez puissantes pour ce répertoire, l’écriture
de circonstance du jeune Debussy aide-t-elle les parties solistes à être intelligibles,
le chef d’orchestre a-t-il suffisamment soigné l’équilibre des différents
protagonistes ? Questions laissées en suspends, comme les accords non
résolus de la musique de Debussy.
Printemps, suite symphonique, composé à la fin de son séjour à la villa Médicis, achève le concert. Debussy souhaitait par cette œuvre : « donner le plus de sensations possible […] non plus le printemps pris dans son sens descriptif, mais le côté humain. […] Vous devez comprendre combien la musique doit avoir de puissance évocatrice. » Initialement écrit pour piano à quatre mains, l’instrument sera conservé au sein de l’orchestre dans sa version définitive. L’utilisation du son pur comme des touches de couleur rapprocha Debussy des compositeurs impressionnistes. Les instrumentistes s’y impliquent tant comme solistes que comme musiciens du rang. Les grands gestes de Tito Ceccherini, spécialiste des œuvres symphoniques du XXe siècle, ne permettent pas toujours des départs précis mais insufflent une générosité de phrasé à son apogée lors du final, véritable fanfare triomphante comme le sera alors l’accueil du public enthousiaste.