Harteros et Gergiev illuminent les Wesendonck Lieder de Wagner à la Philharmonie de Paris
Dans une forme souveraine, Valery Gergiev, placé à la tête de son Orchestre philharmonique de Munich (il en est le chef principal depuis la saison 2015/2016 après la disparition de son prédécesseur, Lorin Maazel), a choisi d’ouvrir la soirée avec Francesca da Rimini, fantaisie symphonique op. 32 de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Créée en 1877, cette œuvre d’une vingtaine de minutes qui mobilise un vaste orchestre conte la rencontre aux enfers de Dante et de Francesca da Rimini (personnage sacrifié qui inspira maintes compositions dont plusieurs opéras). Entre déferlement orchestral et partie centrale plus lyrique où la douleur et la passion de Francesca s’expriment de façon prégnante, cette pièce ne laisse guère en repos. Après un début très wagnérien d’inspiration, elle inspire à Tchaïkovski de belles envolées et une tension que la direction de Valery Gergiev met pleinement en valeur.
Superbement habillée d’une robe vert émeraude, Anja Harteros offre ensuite une vision toute de lumière et d’espérance des Wesendonck-Lieder. Ces cinq poèmes magnifiques de Mathilde Wesendonck, inspiratrice par ailleurs du rôle d’Isolde, défient la loi du genre et paraissent éternels. La musique de Richard Wagner —ce dernier travaillant pour une fois sur un texte qu’il n’a pas rédigé lui-même—, transcende plus encore ces poèmes et leur donne une dimension éternelle. Grande chanteuse wagnérienne, Anja Harteros se plie avec une rare aisance à l’exercice périlleux du Lied avec orchestre, qui sollicite bien entendu la voix d’opéra, mais aussi une approche plus raffinée, plus intériorisée ou aérienne. La voix imprime une luminosité inhabituelle à ces Lieder. Que ce soit dans le premier Lied (Der Engel, l’Ange), le redoutable troisième (Im Treibhaus, Dans la serre) ou le plus connu qui vient conclure le cycle (Träume, Rêves), Anja Harteros déploie un trésor de nuances, avec un beau grave bien placé, mordoré, et des élans vers l’aigu qui osent friser la transparence. L’interprète totalement investie démontre une plénitude qui plonge le public dans une sorte de transe que la frénésie des applaudissements viendra balayer.
Valery Gergiev déroule sous son chant un tapis des plus chatoyants. La seconde partie de la soirée se trouve consacrée au vaste Poème symphonique op. 40 de Richard Strauss, Une vie de héros créée en 1899. Réparti en six mouvements, de la présentation du héros à ses batailles, ses amours et son accomplissement, il permet à l’orchestre de déployer toutes ses facettes et à Strauss de démontrer une science de l’orchestration qu’il va ensuite amplement développer dans ses opéras. Valery Gergiev y déploie un souffle prodigieux, portant les instrumentistes à leurs limites, donnant toute sa signification la plus profonde à chaque épisode de la vie du héros. Le Münchner Philharmoniker apparaît au meilleur de ses capacités et chaque pupitre, dont les violons et les cuivres particulièrement sollicités, sont à saluer. Lorenz Nasturica-Herschcowici, le premier violon de l’orchestre et invité presque permanent au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg auprès de Gergiev, donne aux solos une interprétation proprement idéale et d’une beauté infinie. Il joue sur un violon d’Antonio Stradivarius de 1713. Pour ces pièces exigeantes, Valery Gergiev procède à un placement particulier des instruments : violons et altos se répartissent à part égale sur le devant, les cuivres particulièrement nombreux se situant sur la partie droite et haute, tandis que les violoncelles (10) et contrebasses (8) se tenaient à gauche, juste derrière les harpes ! Outre Paris, ce même concert est présenté à Cologne, Amsterdam et Hambourg.